La Favorite (7)

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L'enfant sondait la salle de ses yeux azurins, détaillait les convives, observait les visages. Partout, il n'y avait que des rires, des éclats de voix, des expressions heureuses et des yeux aux pupilles dilatées par l'alcool et la faible luminosité de la salle de banquet. Assise aux côtés d'une place vacante, qui était censée être occupée par son père, elle avait une vue imprenable sur le souverain d'Helvethras lui-même, le Roi Laurus, son épouse et son fils, qui occupaient les trois places d'honneur. En face d'eux, un ménestrel convoqué à la hâte pinçait les cordes de sa lyre, à la recherche d'un accord joyeux qui lui permettrait de chanter une ballade. Finalement, il trouva une tonalité qui semblait lui convenir, au grand bonheur de l'ensemble de la salle, dont les bruissements s'apaisèrent quelque peu. Eliane tourna la tête, toujours à la recherche de son père, mais déjà, elle prêtait oreille distraite aux premiers mots.

Elle trouva les phrases belles, mais plates. Il manquait quelque chose au ménestrel, contrairement à d'autres qu'elle avait déjà eu l'occasion d'entendre. Celui-ci souhaitait clairement dépeindre la vaillance de son roi et, plus les vers s'enchaînaient, plus la redondance de termes comme bravoure, courage et fierté lui donnait la terrible sensation que le poète, qui qu'il soit, n'avait aucune idée de ce dont il parlait. La bataille n'avait eu lieu que quelques heures plus tôt, mais elle semblait toujours aussi distante, toujours aussi peu vivante. Elle avait vu certains hommes de son père rentrer du champ de bataille, ensanglantés, vacillants, et leurs yeux étaient comme morts, hantés par les échos de combats qu'ils revivaient. Tout son être se rebellait contre les belles descriptions du chanteur, qui contrastaient trop avec le peu qu'elle avait déjà eu l'occasion de voir.

Et, alors que le ménestrel attaquait une nouvelle strophe où, enfin, un vol de chauves-souris aux ailes noires comme la nuit tombante venait porter secours aux faucons en déroute, quelqu'un, juste à côté d'elle, plaqua violemment ses paumes contre la table. Eliane sursauta, leva la tête, avisa le profil rude de son père, qui s'était tenu dans son dos sans qu'elle ne le remarque, et qui dardait maintenant ses yeux de glace sur le chanteur. Les mots de ce dernier moururent sur ses lèvres, ses doigts s'immobilisèrent au-dessus des cordes de l'instrument, il déglutit.

— Zerrhus, asseyez-vous, offrit le Roi Laurus d'une voix tendue.

Dans la clarté des lampes, la strie sanglante sur sa joue lui donnait un air sévère, presque combattif, mais lorsque le Sire d'Ombre ficha son regard dans celui de son souverain, ce dernier sembla se recroqueviller sur lui-même comme s'il avait été touché par une flèche. Même s'il luttait pour conserver une façade avenante et un sourire poli, Eliane vit sa peur soudaine, la sentit dans son propre corps comme un frisson d'appréhension. Elle savait, même du haut de ses cinq hivers, qui était le souverain et, même si elle ne le comprenait pas encore, elle sentait que la puissance n'était pas dans les mains de celui qui détenait officiellement l'autorité suprême.

— J'ai fait mon devoir envers vous, Altesse, siffla Zerrhus, glacial. Mais ne me demandez pas de m'asseoir et d'écouter de ridicules poèmes mensongers quand les corps jonchent encore la plaine.

L'assemblée fut secouée d'un hoquet d'effroi, mais déjà, il se tournait vers sa fille. Face au brasier glacial de ses yeux, Eliane se raidit, momentanément effrayée par les éclairs qu'elle avait presque vus jaillir de iris azurins. Jamais elle ne l'avait vu aussi furieux.

— Eliane, viens avec moi.

Elle se leva sans un mot, déposa sur la table la serviette qui avait couvert ses genoux, et s'engagea à la suite de son père dans le silence mortuaire de la noblesse, qui observait le Sire d'Ombre et sa fille avec attention.

— Sire Zerrhus, appela encore le Roi, où allez-vous ?

— Là où on a le plus besoin de moi, cingla-t-il sans se retourner.

Dynasties / ElianeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant