Devinant son soudain trouble mieux que les spectateurs de la salle ne le pouvaient, conscient des enjeux de la situation, l'homme prit son temps pour répondre. Lorsque les mots sortirent, ils étaient soigneusement pesés, mais ne laissaient place à aucun doute.
— Je suppose que... c'était devenu à la fois une habitude et un besoin. Je m'attendais à être accueilli comme les deux premières fois.
— Cela a-t-il été le cas ?
— Oui.
— Alors pourquoi vous accuse-t-elle de l'avoir forcée ? cingla Eliane, ravie qu'il ait dévié la discussion, mais demeurant dans son rôle de juge impartiale.
— Quand... quand quelqu'un a toqué... elle m'a demandé de cesser, mais...
— C'est de ma faute... souffla soudain Tyrha, incapable de soutenir la disgrâce publique. Votre Grâce, je vous prie de ne pas blâmer cet homme, je suis respon...
— Tyrha, cesse ! lui intima Dalethras.
Elle se tut, considéra son père d'un regard anxieux, brûlant d'incertitudes et de culpabilité refoulées. Eliane ferma un instant les yeux, à son tour prise d'un léger doute. Elle escomptait la résistance de Tyrha, espérait se baser sur sa mauvaise foi pour contrebalancer la douloureuse honnêteté de Melvin. Si Tyrha commençait à plaider coupable, c'était certes bon pour Melvin, mais cela ne serait pas assez pour suffisamment la disgracier aux yeux de la Cour. Il fallait la placer dos au mur, entre le marteau et l'enclume, la contraindre à reculer de cette position ambiguë où elle contrariait les plans de sa concurrente au trône, l'obliger à revenir sur ses mots, à la situation initiale.
Eliane vrilla donc ses yeux azurins dans ceux, verts lumineux, de Tyrha de Terre, et interrogea d'une voix tranchante :
— Souhaitez-vous affirmer qu'il n'a pas abusé de vous ? Que c'était un acte consenti des deux côtés et que, par conséquent, ce jugement n'a pas lieu d'être ?
La femme à la peau sombre donna brièvement l'impression d'être une biche aux abois. La position de victime était toujours préférentielle. Si elle disculpait Melvin de la faute, elle ramenait l'ensemble de la honte sur elle-même. Si elle avait été aussi libertine que certaines femmes d'Ombre, ou même d'Eau, elle aurait peut-être pu l'assumer, mais la vérité était qu'elle n'avait pas les épaules assez solides pour soutenir ce genre de réputation.
— Non... finit-elle par murmurer. Et je ne souhaite rien dire d'autre.
Eliane sourit en son for intérieur, satisfaite d'avoir retrouvé l'équilibre de départ. Tant que Tyrha demeurerait sur la défensive, elle pouvait se permettre d'attaquer sans réellement craindre de retour de flamme.
— Donc vous n'avez cessé que quand le Prince Vilhelm est entré dans la chambre, est-ce correct ?
— Oui, Ma Dame.
— Et êtes-vous conscient, entama-t-elle, se maudissant de devoir poser la question, que vous auriez dû cesser au moment où elle vous l'a demandé ?
— J'en ai toujours été conscient, admit-il.
Une vague de murmures désapprobateurs parcourut l'assemblée, mais Eliane savait que, si elle n'avait pas posé la question, le roi l'aurait posée à sa place. Elle le consulta un instant du regard, haussa un sourcil, et, le défiant silencieusement, demanda :
— Mais si Dame Tyrha ne vous avait pas prié de rester en premier lieu, auriez-vous pu envisager une relation avec elle ?
— Non.
C'était un pieux mensonge, et il sembla s'en vouloir de l'avoir proféré, mais Eliane le remercia d'un hochement de tête.
— Y a-t-il quelque chose que vous n'avez pas dit et que vous aimeriez ajouter ? demanda-t-elle finalement, conformément aux traditions d'Ombre.
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Dynasties / Eliane
FantasyEmpires naissants et royaumes à l'aube de leur gloire, contrées en déclin et cités dépéries. Sur le continent d'Uvrastryn, les souverains se succèdent, le pouvoir change de mains au gré des alliances et des complots. Trois femmes, en des temps diffé...