Partie 10 - Cette Question

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Derrière le rideau, je finissais de me préparer. Loin de se passer dans le calme et l'anticipation, chaque dernière minute avant le début du concert était vécue dans la précipitation. Un micro à fixer par-ci, une encolure à lisser par-là, sans oublier la personne qui n'arrivera pas à intégrer les dernières recommandations car elle est trop stressée.

'Pfiouuuuu, respire Leo' me sermonnai-je. Personnellement j'étais prêt, juché sur mes deux pieds, les bras le long du corps. Les poings refermés mais pas forcément serrés, je sentais surtout une tension le long de mon torse. Nombre de fois dans ma vie il m'était arrivé de me provoquer des douleurs musculaires abdominales, à force de contracter trop fort et longtemps. Ce qui heureusement n'arrivait que très rarement en temps de concert, puisque je n'avais pas du tout le temps de stresser suffisamment pour en avoir mal. Dans ce type de journée nous ne cessions de courir -comme vous avez pu le constater-.

Je jetais un coup d'œil à mes camarades. Nous étions tous ensemble, mais chacun de nous était seul, attendant à sa façon le début de l'événement. N, de son côté fourbe, toujours calme et avenant devant les caméras, dégageait une aura de 'ne m'approchez pas, ne me déconcentrez pas, ma suprématie a besoin de se concentrer', le corps tendu par le stress et le visage empreint d'un égoïsme certain. Ravi respirait profondément, en sautillant légèrement sur place, mais semblait relativement calme. Ken, avec une accessoiriste, riait de la longueur du fil de son micro qu'ils avaient du mal à caler au creux de ses vêtements. Hongbin et Hyuk discutaient, enfin marmonnait ensemble. Ils ne se regardaient pas car chacun d'eux étant trop occupé à gérer autre chose. Leur échange se faisait donc à voix menue, espacé. On aurait dit deux tortues discutant entre elles. Quant à moi personne ne s'occupait de moi. Les membres étaient habitués à ne pas me déranger, les accessoiristes avaient fini leur boulot sur ma personne depuis longtemps.

Je pensais à Hongbin, comme depuis ce matin. Je n'avais pas l'habitude de penser comme cela à quelqu'un. Qu'avait-il fait dans les vestiaires ? Quand en était-il reparti ? Était-il déjà en train de tout raconter à Hyuk ? ... Hongbin m'observait-il pour avoir si bien pu prendre ma défense hier soir ? Et si oui depuis combien de temps ? J'avais beau avoir tenté de mettre cette question de côté toute la journée, elle finissait par reprendre le pas immanquablement. Il fallait qu'il en ait le cœur net.

« - Hongbin-ssi, je peux te parler seul à seul ? Avais-je lancé à travers tout l'habitacle, sans même y pensé, uniquement obnubilé par mon homonyme masculin. Ça leur donnera un peu plus de matière à ruminer, qu'importe.
- Euh... Oui bien sûr ! »

Je marchais en direction d'un coin de la pièce, où était entreposé du matériel logistique. Je notais et  appréciais les longs drapés de rideaux noirs, qui étouffaient les sons. Me retournant vers Hongbin, je respirais un grand coup et demandait d'une voix posée, dénuée de stress :
« - Hongbin-ssi, j'ai tout entendu hier soir.
- Hier soir ? Dit-il apeuré. À quel sujet ?
- Dans la chambre. J'étais derrière la porte.
Il déglutit.
- Ah... Et qu'as-tu entendu ?
Je me mordis la lèvre... C'était maintenant ou jamais. Il fallait se jeter à l'eau comme disent les français !
- Tout. Quand tu as pris ma défense. Et... J'avais une question.
- Je t'écoute.
- Hier tu m'as décrit avec tant de précision, de compréhension... Je ne peux même pas dire 'c'est comme si tu me connaissais' car TU me connaissais, de l'intérieur ! Alors voilà ma question... Hongbin, depuis combien de temps m'observes-tu ?
J'ai pu voir son visage concentré le rester encore 2 secondes et demi, avant de se décomposer. Puis il se mordit la lèvre en regardant vers le bas-côté : il fuyait mon regard. Ainsi donc j'avais raison. J'avais tenté le tout pour le tout :apparemment il m'observait et cela ne datait pas d'hier. Je lui laissais tout de même le répit de quelques secondes, avant de repartir à l'assaut. Je le regardais, se pincer les lèvres, un 'V' entre les sourcils. Mais pile au moment où je rouvris la bouche, Hongbin me devança :
- Oui je t'observe. Depuis longtemps.
- Depuis combien de temps ?
- Assez longtemps pour te connaître et pour être sûr de ce que j'ai dit sur toi hier soir.
- HONGBIN RÉPOND ! Depuis COMBIEN de TEMPS ?
J'avais haussé la voix et serré les poings, les bras tendus le long du corps. Je ne regardais même pas si d'autres personnes s'étaient retournées : je m'en foutais. Je VOULAIS avoir une réponse, des réponses.
- Hongbin-ssi... repris-je plus doucement, réponds s'il te plaît... J'ai besoin de savoir.
- ...Je serais incapable de te donner un jour précis. Ni à quel moment ça a commencé à devenir régulier, pour ne pas dire permanent. Mais je me rappelle très bien du jour où j'ai pleinement réalisé que oui, je t'observais, que j'essayais de te comprendre.
Il se tut, alors que j'attendais la suite.
- Et c'était quel jour ?
- Lors d'un shooting photo. Le shooting pour la collection d'hiver.
Hongbin du saisir mon regard interrogateur, car il me précisa :
- Mais si tu sais. Celui qu'on a fait en automne 2013. Celui avec les doudounes aux couleurs criardes.
Ah oui, là je remettais immédiatement. On avait fait ce shooting pour une marque dont je tairais le nom. Le matériel était de bonne qualité cettes, le design je n'ai pas mon mot à dire dessus ; mais bon sang, quelles couleurs affreuses ! Ah ça, aucun risque qu'on nous perde dans la neige...
- Oui je vois laquelle. Et donc ? Dis m'en plus.
- C'était notre première séance photo pro pour une marque, pour autre chose qu'une promotion VIXX avec notre manager à nos côtés. Et ça se ressent sur les photos : on est encore maladroits, on manque de charisme. Et pourtant toi Leo-ssi... Tu étais différent. Même si c'était la première séance en territoire inconnu, tu t'es donné à fond, et c'est là pour la première fois que je t'ai vu... Je ne sais pas : briller, fendre un peu ta carapace. Tu avais CETTE volonté, de faire de ton mieux, de donner tout ce que tu as malgré la peur, l'appréhension, malgré ta timidité. C'est là que j'ai compris. Que tu étais, que tu avais tellement plus. Ça m'avait plus captivé qu'intrigué, j'ai été plus bienveillant que fouineur. Mais j'étais incapable depuis cet instant, où je t'avais regardé distraitement, de détourner mon regard. Alors tu ne l'as pas remarqué mais durant tout le reste de cette séance, je t'ai regardé discrètement, du coin de l'œil.
Ce que j'avais vu n'était pas passager, ce n'était pas un hasard, tu avais été comme ça pour tout le reste de la séance, de plus en plus fort même. De l'extérieur les changements étaient minimes : une gestuelle plus affirmée, des poses plus élancées, un regard plus accrocheur... Mais je voyais bien que ce n'était pas représentatif de ton fort intérieur, où un vent violent faisait rage, un vent venant de toi-même, pour toi-même. Peu de gens savent et même veulent dépasser leurs limites, et toi tu le faisais si bien. Leo tu étais... fascinant.
J'étais bouche bée. Au sens littéral. Rassuré que je ne hurle pas, Hongbin repris la suite de son récit, en se mordant les lèvres moins violemment.
- S'il n'y avait eu que ça, je pense que je n'aurais eu par la suite qu'une légère curiosité. Mais ce qui m'a vraiment fait basculer, c'est ce même jour, à la fin de la séance, quand je t'ai observé avec le staff nous entourant ; les accessoiristes, maquilleuses, coiffeuses, caméramans et techniciens... Ça a commencé avec une accessoiriste en particulier. Elle venait te retirer les innombrables bijoux fragiles et hors de prix que tu portais. Comme d'habitude, tu avais l'air gêné comme jamais qu'on te touche et de donner du travail à faire. Mais malgré ton apparente -et évidente- timidité maladive, ce qui ne m'avais jamais sauté aux yeux, c'est que tu fais de ton mieux pour soulager les autres. Si je n'avais pas vu ta force intérieure juste avant avec les photos, j'aurais pu croire que c'était une faiblesse : vouloir à tout prix se faire oublier. Mais non, je ne l'ai pas pris une seule seconde comme ça. Pour moi c'était évident. Leo te voir AVANT que l'accessoiriste arrive, courir demander à un technicien de t'aider à ouvrir un bracelet récalcitrant, car tu voulais éviter qu'elle ne peine dessus, voire qu'elle se casse un ongle. Te voir déboutonner ta chemise à toute vitesse, alors qu'elle avait commencé à le faire, mais le faisant alors qu'elle ne pouvait rien voir, ayant détourné la tête à cause de l'appel de quelqu'un. Tu avais profité de ces quelques secondes de répit pour défaire les boutons du bas, d'une seule main, à toute vitesse ; et dès qu'elle avait retourné sa tête vers toi, tu avais repris ta position initiale, faisant comme si de rien n'était, rougissant légèrement.
Leo tu prends tellement soin des gens. Silencieusement, à ta manière, mais tu es tellement présent. Tu es tellement puissant.
Putain.
- Voilà... Voilà depuis combien de temps je t'observe. J'ai regardé et appris au fil du temps. J'ai décodé. J'ai aimé ce que j'ai vu. Ça n'a pas changé, bien au contraire, mille fois au contraire. ... Leo-ssi ?
- Oui.
Oui Hongbin. J'avais besoin de temps. Mais il a besoin d'une réponse.
- Je ... Pardon, je suis un peu déconnecté là je ...
Son sourire. Doux, compréhensif, magnifique.
- Je comprends pas de soucis. Nouveau mordillement de lèvres. Elles ont pris une teinte rosée à force.
Il tendit la main vers moi, j'accrochais son regard et y percevait quelque chose comme... du regret ? Il suspendit son geste et se contente de poser sa main sur mon épaule.
- Viens, le concert va commencer, nous n'avons déjà que trop tardé, reprenons nos places et concentrons-nous. Nous aurons le temps d'en reparler plus tard. OK ? »
Nous repartîmes prendre nos places sur la scène, je retrouvais le rassurant plancher de bois.

Je n'étais pas réellement perturbé ni empli de sentiments contradictoires. J'avais à la fois totalement assimilé ce que m'avait dit Honbin et en même temps j'étais toujours bouchée rien que devant le préambule de son monologue, alors le reste n'en parlons pas.

D'un seul coup, une voix résonna en Hongrois, dont je compris uniquement notre nom : VIXX. Ça allait être à nous.

Comme l'avait dit Hongbin, nous aurons tout le temps de reparler de ça plus tard. Car pour le moment... The show must go on.

Cameo | LeoBin (VIXX) |  FROù les histoires vivent. Découvrez maintenant