42. simon

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***

  On attend qu’un bus passe. On est tous les trois, Ethan Shawn et moi. Assis sous l’abri bus, on se fait silencieux. La situation me dépasse. Je ne sais pas quoi dire, déjà que de base je ne suis pas très à l’aise avec les mots, alors là… Ethan a failli mourir, merde. Je me demande ce qu’il se serait passé si j’avais pas plongé, si je ne l’avais pas réanimé. Ils seraient probablement tous les deux morts. Quel drame ça aurait été…

  Le bus s’arrête. De toutes façons, c’est le terminus, il est un peu obligé. On rentre à l’intérieur, encore un peu mouillés, le chauffeur nous lance un drôle de regard, surtout qu’il fait soleil. Dans mes chaussures, ça fait sploch sploch. On se dirige vers le fond du bus, pour avoir trois places à côté. Je me met à côté de Shawn, Shawn à côté d’Ethan. Je les regarde et je souris. Quel duo de bras cassés. Soudain, Ethan brise ce silence pesant :

  – Je veux pas rentrer chez moi. Je m’y sens pas bien.

  Je lis toute sa détresse dans son regard. Et en même temps, j’ai l’impression qu’en l’espace de quelques heures, il a changé. Quelque chose s’est cassé en lui et c’est comme si maintenant, il avait besoin de le réparer. De prendre un nouveau chemin. Toucher le fond pour mieux remonter. Pour le coup, il a littéralement touché le fond, on peut dire.

  – J’ai l’impression de passer à côté de la vie, dit-il.

  On l’écoute, avec Shawn, sans rien ajouter. On le laisse parler, on attend de voir où il veut en venir.

  – L’adolescence, c’est l’âge des premières fois. Premières cuites, premiers amours, premières sorties, premiers vrais amis… voilà, quoi. Je passe à côté de tout ça. Je vais jamais connaître toutes ces joies, tout ça parce que j’ai une famille de merde.

  Je me rend compte à cet instant, que moi aussi, je suis passé à côté de tout ça. Ce n’est que récemment, avec Théa, que je découvre la vie, la vraie. Je n’ai été qu’un passager, avant elle. Rien que d’y penser, ça me donne envie de l’embrasser toute une nuit, de la serrer fort et de ne jamais la lâcher.

  – Ethan, si tu le voulais, tu pourrais avoir tout ça, dit Shawn. Tu m’as moi et tu sais que je pourrais faire le tour du monde avec toi si juste une fois dans ta vie tu osais demander. Tu as Théa, Simon, voir même Ulysse. Tu pourrais organiser des sorties avec eux. Et faire des soirées, boire, rigoler, ça ne tient qu’à toi, ça aussi. Tu dis passer à côté de ton adolescence… mais c’est l’adolescence qui passe à côté de toi et tu ne fais rien.

  Pendant quelques secondes, Ethan se tait. Il se gratte la nuque, plisse ses yeux. Puis, il déclare :

  – Et si on allait dans un bar ?

  J’en reste bouché bée. Ethan qui veut aller dans un bar, c’est comme si je prenais la parole en classe, volontairement. C’est à dire, improbable. Shawn se tourne vers Ethan, murmure un « quoi » presque inaudible. J’ai beau retourner dans tous les sens ce qu’il vient de dire, mais il n’y a pas de message caché. Il veut juste aller dans un bar.

  – On est resté là bas longtemps après… l’incident, et après le bus a mis du temps. Je vous signale qu’il est déjà dix huit heures trente et qu’on se rapproche de la ville. Vous voulez pas boire un coup ?

  L’idée me paraît un peu folle. En même temps, après ce qu’il s’est passé, ça devient presque quelque chose de normal, même sortant de sa bouche. Shawn sourit.

  – Ethan… je te suis, peu importe où tu vas.


  On marche un peu, on cherche un bar sympa mais pas trop bondé. La requête d'Ethan nous a étonné tous les deux, avec Shawn, mais si c'est ce qu'il veut, pourquoi pas. Ça ne peut pas lui faire du mal. De toutes façons, je ne pense pas qu'il va prendre de l'alcool. Moi non plus. Shawn sera le seul.

Overdose sentimentale Où les histoires vivent. Découvrez maintenant