37. théa

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***

  Mon cours de littérature vient de finir. Je range mes affaires à toute vitesse, pressée de retrouver Simon. Je glisse mon cahier dans mon sac, fourre ma trousse là où il reste un peu de place : j'ai beaucoup de cours aujourd'hui. Simon est toujours ponctuel. Il est probablement déjà à table. Cela tombe très bien, j'ai faim. Je pourrais dévorer un lion.

  Je m'apprête à sortir de la salle, quand soudain, le professeur m'interpelle. J'avance jusqu'à son bureau, perplexe. Il aborde un grand sourire sur son visage, pourtant, ça ne me dit rien qui vaille. J'attends qu'il parle, étant donné que j'en suis incapable.

 
- Vous avez séché plusieurs rendez vous avec la psychologue scolaire, dit-il.

  Je hoche la tête, parce que c'est vrai. Je ne peux pas le nier. Ils en ont la preuve. La première fois, j'avais refilé le mot à Simon. Je l'avais glissé dans son sac. Je ne crois pas qu'il y soit allé. Les mots d'après, les convocations, je les aies esquivées comme la peste. Je n'ai pas besoin de leur aide. Je me suffis à moi-même. Puis franchement, une psychologue, pour une fille qui ne peut même pas lui répondre ? Où est l'intérêt ? Et puis, si je voulais me confiais, je ne ferais à Simon, à ma mère, à Damien, peut-être même à Ethan... mais jamais à une inconnue. Si c'est pour qu'elle me range dans une case, recrache son cours en espérant que cela marche sur moi, non merci. Je ne suis pas comme tout le monde. Mutisme post-traumatique. Une fois qu'elle aura fait son diagnostic, elle va essayer de me soigner avec de belles phrases toutes faites.

  J'aimerais qu'au moins une fois dans ma vie, on me demande mon avis. Ce que je veux vraiment. Qu'on me croit quand je leur explique que c'est inutile. Qu'on me soutienne. Ai-je le droit, à tout ça ?

  Loïc ne m'avait pas demandé mon avis. Ou bien il n'avait pas écouté ma réponse. Mon frère ne m'a pas demandé si je voulais qu'il reste. Ma mère ne m'a pas demandé si je voulais déménager. Mon père ne m'a pas demandé si je voulais le laisser partir... si j'étais prête. Regardez où ça m'a mené, tout ça...

  - Théa, suivez moi.

  Voulez vous me suivre ? Non. Suivez moi. Je n'ai pas le choix. Il s'avance, passe la porte et se tourne vers moi. Je n'ai pas bougé d'un millimètre. Je ferme les yeux quelques secondes, puis je le regarde. Il me sourit. Je soupire puis je le suis.

  La porte est rouge. Elle s'ouvre sur la psychologue scolaire. Elle aussi, comme mon professeur, me sourit. L'intérieur est blanc. Je n'ose pas entrer. Je ne veux pas. Mais mon professeur pose sa main dans mon dos et m'incite à entrer. Je m'écarte vivement puis je pénètre dans la pièce. 

  La psychologue porte une chemise blanche, assez lâche, laissant paraître son décolleté. Un jean serré qui moule sa silhouette. Elle a un chignon un peu défait sur le dessus du crâne. Elle est maquillée, mais sans plus. Ses yeux ont la même couleur que ses cheveux, blonds. Quoique je ne sais pas si ça existe comme couleur, pour les yeux.

  Deux chaises en cuir (vu le budjet du lycée je ne pense pas que ce soit du vrai) sont disposées au milieu de la pièce. Sur la droite, un bureau, plutôt vide. Elle ne doit pas avoir grand monde. Deux trois tableaux sont accrochés au mur, rien de très extravagant.

  Je m'assois, doucement, comme si ça pouvait retarder le moment... je pose mon sac à côté de moi. Elle s'installe en face de moi. Je pense à Simon, seul à sa table, regardant sa montre frénétiquement. Désolée, Simon. Ce n'est pas ma faute. Les gens ne sont pas tous comme toi. Ils ne me demandent pas mon avis.

Elle me tend un calepin, ainsi qu'un stylo. Elle sait déjà que je ne parle pas. Bien sûr qu'elle le sait...

- J'aimerais qu'on se parle sans ambiguïté, dit-elle. Avec honnêteté. On peut parler de ce que tu veux. L'autre jour, avec un élève, on a parlé de mon métier. Sur le fait que la psychologie est une science inexacte, tout simplement car l'humain est imprévisible. Sur l'objectivité. Évidemment, je ne peux pas l'être. Objectif, je veux dire. Je ne pourrais l'être qu'à quatre-vingt-dix pourcents. Je suis humaine, j'ai des sentiments, je ne peux pas te comprendre complètement. Mais je peux essayer de t'aider.

Overdose sentimentale Où les histoires vivent. Découvrez maintenant