Guenièvre
La pluie perlait contre la vitre. Je l'entendais frapper tendrement contre ma fenêtre, c'est d'ailleurs ce bruit apaisant qui m'avait réveillée. Je m'approchais lentement et déposais une main sur le verre glacé, mon souffle chaud y forma de la buée. Je contemplais les gouttes tombées du ciel, elles menaient une course effrénée.
Si seulement je pouvais sentir ce froid sans la couverture que représentait le manoir... Si seulement je pouvais respirer l'air glacial de l'hiver qui approchait...
Mon corps se couvrit de frissons. La température n'avait pas cessé de chuter depuis ces derniers jours. Je pris mon courage à deux mains et ouvris l'épaisse vitre, seule frontière entre mon corps malade et le vent gelé dont mon père et nos domestiques tachaient au mieux de me protéger. Une bourrasque s'engouffra dans la pièce, mes boucles blondes s'entremêlèrent. Le vent semblait me défier, après tout j'avais été la première à le faire. Je passai ma tête hors de la fenêtre et je pu apercevoir le duvet de neige qui recouvrait le sol. Saute... Saute... Saute... Mes mains agrippèrent le rebord de la fenêtre et je montai tant bien que mal sur la commode. À cette hauteur j'aurais de maigres chance de rejoindre ma mère, je risquai plus de me casser un bras ou une jambe et de rester infirme pour le reste de ma vie. Un cri étouffé dans mon dos m'arracha de mes pensées désinvoltes. Lola, ma gouvernante, se tenait dans l'entrebâillement, un bol de potage dans les mains. Elle accourut, ou plutôt se dandina jusqu'à la fenêtre pour s'empresser de la fermer. Gesticulant dans tous les sens elle me répétait en boucle que j'étais imprudente, que j'allais finir par mourir.
Je soupirais amèrement, n'aurais-je donc jamais le droit de voir le monde qui m'attend à l'extérieur ? Je remerciai poliment Lola pour le potage même si nous savions pertinemment que je n'y toucherais pas. Ce potage aux légumes avait une étrange texture et un goût insipide. Je me souviens que la semaine passée j'avais trouvé un os de poulet dans mon bol de soupe... Chose curieuse car il ne devait y avoir que des légumes...
– Vous devriez manger, dit-elle en me tendant le bol.
Je la regardai d'un air désapprobateur. Mes yeux firent des aller-retours entre son visage rond comme la lune et le bol.
– Lola, je n'aime pas la soupe, est-ce que je pourrai avoir du poulet et des carottes ?
– Votre père...
– Je sais, Lola, dis-je agacée de devoir toujours obéir à mon père, mais je n'aime vraiment pas cette soupe.
– C'est non, mademoiselle Guenièvre, les ordres de votre père sont stricts.
Une fois Lola partie et la porte refermée, je me recouchais, je devais rester alitée, ordre du médecin. Dans mes draps de soie et mes couvertures chaudes je ne rêvais que d'aventure, de pouvoir enfin toucher l'un de ces pâles flocons. Je n'étais pas aussi fragile que le prétendait mon père. Depuis le décès de ma mère, il s'était mis en tête que j'étais atteinte d'une fièvre rare et que seul les quatre murs de ma chambre sauraient m'empêcher d'y succomber. Il avait inventé ma maladie certes, mais pas ma santé fragile. J'avais conscience que si je m'aventurais trop loin du manoir, mon système immunitaire ne suffirait probablement pas, mais l'inaccessible m'attirait dangereusement. Je me demandais souvent, la nuit, comment serait ma vie si maman était encore là. Est-ce qu'elle m'aurait laissé aller en ville ? Aurait-elle été heureuse lorsque mon père a choisi mon futur mari ? Est-ce qu'elle l'aurait choisi ? Son odeur de jasmin me manquait, sa voix chaleureuse, ses câlins et ses sourires me manquaient. Elle me manquait. Et si je la rejoignais ? Il me suffirait de monter dans les combles et de m'y jeter. Est-ce que j'irais en Enfer ? Est-ce que j'irais au Paradis ? Et ou était ma maman ? Paradis ou Enfer ? Elle devait sûrement être au Paradis. Il n'y avait pas femme plus dévouée à son mari et meilleure mère qu'elle. Et si je mourrais, je le ferais avec des regrets. Le monde, jamais je n'aurais eu l'occasion de le voir. Je devais trouver une manière pour m'échapper de ce fastueux manoir et malheureusement de mon père. Il fallait tout de même que mon père se fasse à l'idée que je ne finirais pas mes jours dans cette chambre, exilée du monde. En attendant j'étais assignée à résidence, piégée dans cette prison d'or, d'argent et de cristal.
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La prison d'or, d'argent et de cristal
RomanceDepuis la mort de sa mère, une jeune femme est prisonnière de son château et des règles strictes de son père. Désespérée, elle fait la rencontre d'un jeune homme. C'est un voyageur, un voleur, un escroc, aussi malin que le renard il arrivera à ses f...