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Jessica — Chez elle, 13:44
Novembre 2013

Le hashtag du jour, pensait Jess, c'était quelque chose du genre #désastre. C'était un désastre de voir sa mère se conduire comme une gamine, pouffer d'un rire idiot et rejeter en arrière sa crinière blonde. Le pire, c'était que le nouveau copain de sa mère avait décidé de devenir le meilleur ami de Jessica.

Jessica repoussa son assiette et examina ses ongles. Son vernis noir s'écaillait. Sa mère lui avait dit de le refaire, mais Jess avait refusé. C'était déjà bien suffisant d'avoir accepté ce dîner débile.

— Alors, Jessica, qu'est-ce que tu as envie de faire, après le lycée?

Et en plus, il était anglais. Un professeur de yoga, anglais. Est-ce que les hommes n'avaient pas des vrais métiers, en Angleterre? Qu'est-ce que ça voulait dire, cette histoire de yoga?

— Elle veut devenir modèle, comme sa mère, répondit Claire.

— Vraiment? demanda-t-il.

Il avait les yeux très bleus. Trop bleus, en fait. Jess n'aimait pas du tout la façon dont il vous transperçait, comme s'il était capable de lire tous vos secrets.

Elle haussa les épaules.

— Oui, je suppose.

— Qu'est-ce que ça veut dire, tu supposes? demanda sa mère dont le ton s'était durci.

Quand elle prenait cette expression, mieux valait ne pas la contrarier. Jessica ne se laissa pas intimider ; elle lui rendit froidement son regard.

— Ça veut dire que je suppose que je veux être modèle.

— C'est vrai, tu es encore si jeune, dit Eric. Tu as encore tout ton temps pour te décider.

Je ne suis pas si jeune, pensa Jess, qui se retenait de crier. J'ai seize ans!

— Aucune importance, marmonna-t-elle.

Pourquoi sa mère ne voyait-elle pas ce qui crevait les yeux? Eric était fauché. Il vivait sur une péniche aménagée! Ce n'était qu'un vieux hippie en quête d'une rente. Comment pouvait-elle ignorer qu'il n'en voulait qu'à son argent? Et pourquoi aussi était-elle incapable de rester célibataire plus de cinq minutes?

— Mais tu as à peine touché à ton assiette, dit Eric.

— Elle a un casting ce week-end, n'est-ce pas, ma chérie? intervint Claire.

Eric la regarda sans comprendre.

— Mais oui, c'est une campagne publicitaire pour une marque de vêtements. C'est son premier vrai casting professionnel, et ça pourrait bien être sa chance!

Claire adressa à sa fille un sourire éclatant, celui qui avait vendu tant de routes à lèvres et illuminé tant de couvertures de magazines.

Jess détourna les yeux. Elle sentait à la fois de la colère et une certaine impatience l'envahir ; elle mourrait d'envie de sortir de chez elle et de se mettre à courir. Longtemps. Sans jamais s'arrêter.

— Mais ... commença Eric.

Claire et Jessica le regardèrent.