Je faisais les cent pas dans ma chambre d’hôtel en remuant un verre de gin, perdu dans mes pensées. Demain j’avais rendez-vous avec la Louisiana Bank pour visiter la vieille école à laquelle Robert Jennings s’était intéressé. Ils étaient un peu surpris que je souhaite acheter l’endroit, tout comme je l’ai été en entendant qu’il n’intéressait personne. La maison était magnifique, bien que délabrée et ayant grand besoin de travaux. La femme avec qui j’avais discuté au téléphone m’a informé que l’école était devenue auréolée d’histoires d’horreur chez les locaux. Elle avait fermé lorsqu’elle s’était retrouvée à court de fonds, et cela avait contrarié beaucoup de gens, élèves comme parents, que le gouvernement décide de les envoyer ailleurs plutôt que de relancer le financement. Du coup elle avait été mise sur le marché, mais je suppose que personne ne se sentait d’acheter un truc qui avait eu tant d’importance pour les enfants. Pour résumer, quelques tornades et un manque d’entretien ont transformé l’endroit en une attraction paranormale, bien qu’il ne s’y soit jamais rien passé de sérieux.J’ai pris une longue gorgée de gin, cul sec. Je n’en revenais toujours pas à quel point j’étais devenu habitué à cette merde. Même si je ne buvais pas tant que ça avant, j’avais un petit faible pour le whisky. Désormais c’était du gin ou rien.
La chambre d’hôtel où je séjournais était sombre et renfermée. Mon compte en banque commençait à arriver dans le rouge, depuis deux mois que je vivais sans revenus, et je ne pouvais pas me permettre de dépenser sans compter. J’ai pensé à écrire des prescriptions et les vendre, mais je n’ai simplement pas pu m’y résoudre. Même s’il serait agréable d’avoir un peu d’argent, je refusais de tourner le dos à celui que j’étais autrefois. Qui sait ? Peut-être que cette école m’offrira de nouvelles informations que je pourrais utiliser pour tuer Ubloo. Le tuer ? J’ai secoué ma tête. C’était une putain de malédiction vaudou, comment tu tues un truc comme ça ?
Je me suis appuyé contre mon armoire, et me suis penché au-dessus de mon verre de gin, pour en observer les cubes de glace fondre, et écouter leur tintement.
« Docteur. »
Ça venait de derrière moi. J’ai pivoté si vite que j’ai manqué de tomber, et mes yeux ont dû s’adapter à la vitesse du geste. En face de moi, une personne a fait son apparition.
C’était Andrew.
Nous sommes restés là, debout, à nous regarder dans le blanc des yeux. Il portait un simple t-shirt noir et un jean. Ses cheveux étaient en broussaille, et ses yeux, brillant autrefois du vert que je leur connaissais, étaient remplacés par des sphères totalement blanches.
Il a repris la parole : « Docteur, pourquoi êtes-vous là ? »
Mes mots ont eu du mal à sortir de ma gorge.
« J’essaie de trouver une solution Andrew. J’essaie de le vaincre. J’essaie de vaincre Ubloo.»
Andrew a lentement secoué la tête.
« Vous ne pouvez pas vaincre Ubloo, Docteur. Vous ne pouvez pas, a-t-il répondu. Ubloo est toujours là, il attend, il observe. »
Nous sommes restés silencieux, mon estomac se nouant de dépression et de nervosité.
J’ai finalement rompu le silence : « Eh bien je dois quand même essayer Andrew. Je le dois parce que je ne peux pas laisser ça arriver à quelqu’un d’autre, je ne le peux simplement pas. »
C’est alors que je l’ai vu. Il a surgi des ténèbres derrière Andrew, d’une démarche lente, et presque maladroite. Sa peau était lisse et grise, plaquée contre son corps, et je voyais chacun de ses os et de ses muscles bouger et se contracter tandis qu’il boitait sur ses six longues pattes. Il devait faire au moins deux mètres, sans doute plus, et encore en étant recroquevillé. Sa grosse tête ronde me fixait de ses grands yeux d’un noir profond. Bien qu’il n’ait pas de pupilles, je sentais qu’il m’examinait, scrutant chacun de mes mouvements. La longue trompe qui pendait de sa tête se balançait d’avant en arrière quand il marchait, comme si elle était toute molle. Il s’arrêta juste derrière Andrew alors que ce dernier se remit à parler.
« Ça va arriver à quelqu’un d’autre Docteur. » Il me fixait de ses yeux blancs. « Il n’y a plus qu’une seule issue à présent. »
La trompe d’Ubloo s’est redressée et est venue se coller contre l’oreille d’Andrew. Puis j’ai vu sa longue et fine langue noire sortir du nez d’Andrew, et ce dernier a émi un hurlement strident.
J’ai couvert mes oreilles de mes mains, et je me suis effondré contre l’armoire.
« NON ! ARRÊTE ÇA ! » Ai-je crié, mais en vain.
La peau d’Andrew s’est mise à fondre de ses os en bouts informes, s’écoulant comme de la cire de bougie, exposant son squelette et ses tissus musculaires. Il continuait de crier alors que son corps s’amassait comme une soupe épaisse à ses pieds. J’ai regardé son visage fondre pour révéler l’os de sa mâchoire. Puis j’ai entendu un bruit de déboitement, et j’ai vu sa mâchoire brisée pendre, tordue, toujours pendant qu’il hurlait à la mort.
« S’IL-VOUS-PLAÎT ! JE NE PEUX PAS ! JE N’EN PEUX PLUS ! METTEZ-Y UN TERME JE VOUS EN PRIE ! »
C’est alors qu’Andrew s’est arrêté, sa mâchoire toujours pendante. Il n’était plus qu’une moitié de squelette à présent, avec ses morceaux de chair et ses entrailles, coincés entre ses os, qui n’étaient pas tombés jusqu’au sol. Il était figé, et alors sa tête s’est brusquement tournée vers moi, avec les globes oculaires qui ont roulés dans leurs orbites pour révéler ces horribles yeux verts brillants. Derrière lui, Ubloo observait toute la scène.
« La fin est le commencement Docteur. »
Et puis son squelette s’est brisé, et ses restes sont tombés au sol rejoindre l’amas de chair et de bile qu’il avait laissé derrière lui. La trompe d’Ubloo est retombée pour se balancer à nouveau sous sa tête, et je l’ai entendu le dire.
« Ubloo. »
Mes jambes étaient emmêlées dans mes draps comme du bois noueux. Je gisais dans une flaque de sueur froide, essoufflé, fixant le sombre plafond dont les contours, d’abord flous, m’apparaissaient plus nettement.
Je suis resté là, haletant. Une fois mon souffle repris, je me suis levé et je me suis dirigé vers mon armoire pour en ouvrir un tiroir. À l’intérieur il y avait une flasque, à côté de laquelle reposait un revolver.
Même si je m’accrochais toujours à l’espoir de trouver un moyen de me débarrasser de cette malédiction, une petite partie de moi, rationnelle, savait qu’il pouvait n’y avoir en réalité qu’une seule solution à toute cette histoire.
J’ai sorti une pleine bouteille d’Adderall et je me suis enfilé trois pilules. J’ai attrapé ma bouteille de gin presque vide, et je l’ai finie. Je me suis retourné et j’ai balayé la chambre du regard. Il n’y avait rien. J’ai éteint la lumière et jeté un coup d’œil à ma montre : il était 4 :37 du matin.
C’était l’heure de partir.
Je suis arrivé à la banque juste un peu après 7 heures. Elle n’allait pas ouvrir avant une bonne heure, donc j’ai sorti une de mes nombreuses flasques de gin que je conservais désormais dans ma voiture, et l’ai vidée dans mon café. La première gorgée m’a brûlé la langue, mais j’en avais vraiment plus rien à foutre. Il y a pire que de se brûler la langue.
Je n’arrêtais pas de penser à ce qu’avait dit Andrew, si c’était bien Andrew. Aurait-ce pu être Ubloo s’adressant à moi ? Ça n’avait pas de sens. S’il pouvait me dire de me réveiller à chaque putain de fois, pourquoi aurait-il créé une vision d’Andrew pour me parler ? Ceci dit, je pense qu’entendre cette chose parler serait bien plus flippant.
J’ai rencontré la femme qui devait me montrer l’école devant la porte de la banque. Elle s’appelait Linda. Elle avait la cinquantaine, avec des cheveux bruns et des taches de rousseur, et avait un sourire d’une blancheur éclatante. J’ai pris le temps d’arranger mon aspect pour cette rencontre. Si je voulais ressembler à quelqu’un qui comptait acheter cette maison, et par la même occasion glaner des informations, je devais jouer le jeu. Mes cheveux étaient soigneusement peignés, j’ai même un peu brossé et nettoyé ma barbe hirsute. J’ai mis de vieux vêtements professionnels, que j’avais repassés la nuit précédente, et je me suis même mis une petite touche d’eau de Cologne. Honnêtement, ça m’a fait du bien de m’habiller un peu.
Nous avons pris sa voiture pour aller jusqu’à l’école, qui n’était pas très loin de la banque. Alors qu’on se garait devant, j’ai senti une étrange sensation à l’estomac, comme quand on rencontre quelqu’un dont on n’avait vu que des photos. J’avais l’impression de déjà connaître l’endroit tellement je m’étais renseigné dessus.
« Bon ça paye pas de mine, mais je vous le garantis dans le temps c’était une vraie beauté, » dit-elle alors que nous nous avancions vers la grande porte en fer.
Elle a sorti de son sac à main un trousseau de clés, qui n’en contenait que trois, et a cherché la bonne. Je l’ai observée attentivement. Il y avait deux clés en or et une en argent. Elle s’est arrêtée sur cette dernière, et l’a insérée dans le cadenas de la porte. J’ai levé la tête vers la grille : il y avait des pointes au sommet. Il ne serait pas évident de passer au-dessus, mais en étant prudent ça doit bien être possible.
« L’herbe est un peu haute en ce moment, en général on envoie quelqu’un la tondre plusieurs fois dans l’année, pour vérifier aussi que personne n’ait dégradé l’endroit. »
Je lui ai emboité le pas tandis qu’elle montait les marches de l’entrée. Ces dernières ont grincé sous nos pieds. Elle a pris une des clés en or et l’a enfoncée dans la serrure. La porte s’est ouverte vers l’intérieur, et elle s’y est engouffrée.
« Alors ici nous avons le hall d’entrée, avec comme vous pouvez le constater beaucoup d’espace, et une grande hauteur de plafond, qui fait fureur de nos jours, » dit-elle en refermant la porte derrière moi.
La maison était vraiment magnifique, et je comprenais mieux pourquoi c’était facile pour Robert de prétendre vouloir l’acquérir en tant que bon investissement. Linda m’a montré le reste, qui était plutôt morne et poussiéreux. Les planches du parquet craquaient sous nos pas, et des tâches aux murs et au plafond attestaient de l’infiltration de l’eau. La majeure partie du rez-de-chaussée était constituée de salles de classe, avec juste une petite cuisine, que les profs devaient utiliser entre les cours. Le bureau du doyen se trouvait en haut, avec d’autres salles de classe.
J’ai continué la visite en écoutant d’une oreille distraite ce que me disait Linda, attendant de l’autre que quelque chose survienne. Mais en vain. J’arrivais dans une impasse. Tous les indices m’avaient mené jusqu’ici, et je ne pouvais m’empêcher de me sentir seul et perdu.
Une fois la visite terminée, je suis retourné à la banque avec Linda pour les formalités. J’ai pris place en face de son bureau, pendant qu’elle posait son sac et allait faire un peu de café. À son retour, elle s’est assise et a sorti la paperasse.
« Nous demandons un minimum de 685 000$, avec tous les coûts supplémentaires à votre charge. Il y a également des frais d’agence de 10 000$, mais pour être honnête je vois bien la banque vous en faire grâce si vous achetez, ils ont vraiment envie de se débarrasser de cette propriété. » Quand elle a eu fini de parler, elle m’a tendu la paperasse pour que je l’examine.
J’ai fait mine de lire les documents.
« 685 000$ me semble raisonnable, ai-je commencé, bien qu’une maison de cet acabit se vende pour le double en ce moment, surtout avec autant de surface et une telle architecture. »
Linda savait à quoi je faisais allusion avant même que je n’en parle.
« C’est juste que, continuais-je, j’ai entendu certaines rumeurs à propos de la propriété en étant dans le coin, et bien que je sois sceptique, vous comprenez ma curiosité. »
Linda a soupiré en dépit de la diplomatie de ma question.
« Eh bien je peux vous assurer qu’il n’y a absolument rien à craindre avec cette propriété. Lorsque l’école a été fermée, ils ont envoyé les élèves dans des écoles publiques, ce qui n’a pas plu à un certain nombre de parents parce qu’il y avait toujours beaucoup de tensions raciales. Ils nous ont suppliés de financer l’école, mais ça aurait tout simplement été trop cher à entretenir. Ils ont chassé les premiers acheteurs potentiels, la maison est restée inoccupée pendant longtemps, et puis les histoires ont commencé à germer. À partir de là, c’est assez difficile de vendre une propriété, en particulier quand elle a subi autant de dégâts. »
J’ai acquiescé. C’était logique. Une partie de moi espérait qu’il y aurait une histoire d’où je pourrais partir, mais je n’ai rien trouvé d’autre que les rumeurs habituelles : des silhouettes aperçues aux fenêtres, des personnes qui y sont allées sans jamais en revenir, etc.
« Bon, il faut que j’en parle avec ma femme, et voir ce qu’elle en pense. » Ça m’a fait bizarre de dire ça. J’ai pris une gorgée de mon café. Il avait suffisamment refroidi pour le boire, ce qui m’a aidé à déculpabiliser pour ce que j’allais faire.
« Bien sûr, je comprends, » a répondu Linda dans un sourire.
« En attendant, ça ne vous dérange pas si je prends une copie de… » J’ai allongé le bras pour attraper les papiers, et j’ai renversé ma tasse de café de manière à tacher les vêtements de Linda. « Oh mon Dieu, je suis tellement désolé. »
« Oh ! » Elle s’est levée et a balayé la pièce du regard à la recherche de quelque chose avec quoi s’essuyer. « Je vais juste, hummm… un instant s’il-vous-plaît. »
Elle est sortie de la pièce et j’ai entendu le bruit de ses talons dans le couloir.
« Je suis vraiment désolé ! me suis-je encore excusé, tout en fouillant son sac pour prendre le trousseau de clés. Je suis tellement maladroit, j’aurais dû vous prévenir ! » J’ai glissé les clés dans ma poche, puis j’ai ressorti la boîte de mouchoirs que j’avais cachée sous ma chaise et l’ai remise sur son bureau.
« Oh ça ne fait rien ! a-t-elle dit en revenant avec un rouleau d’essuie-tout. Ça arrive tout le temps mon cher. Laissez-moi juste le temps de demander à un stagiaire de vous imprimer une autre copie de ces contrats. »
Linda m’a raccompagné à la sortie, et je me suis à nouveau excusé pour avoir renversé du café. Elle a dit qu’elle espérait avoir de mes nouvelles rapidement. Je lui ai fait signe de la voiture, mais je n’ai pas pu m’empêcher de sourire en la voyant avec une grosse tâche de café sur sa veste.
Une fois de retour à ma chambre d’hôtel, je me suis servi un verre de gin, me suis assis sur le lit, et j’ai pris deux pilules d’Adderall supplémentaires.
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Creepypasta et histoire horrifique
TerrorRecueil de Creepypasta et autres histoire horrifique avec des photos ou vidéos comme seule et unique preuves de leur véritable existence. ~~~~~~~~~~~~~~~~~ Publication régulière 2 nouvelles histoires par jour, sur le mois d'halloween. ~~~~~~~~~~~~~~...