Chapitre 7 : le livre

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Dongmyeong- En 1283, la peur des sorcières régnait partout dans le monde. Venue d'Europe, cette peur s'était répandue en Asie d'abord par les principautés russes, puis par la Chine, et était arrivée en Corée. Il était devenu coutume de se méfier de toutes les femmes qui pratiquaient dans le domaine médical, et le moindre soupçon conduisait à une exécution publique. A cette période, près d'un cinquième des femmes étaient brûlées vives, accusées de sorcellerie. Et parmi elles, seulement un centième pratiquaient la magie. Elles avaient appris à se cacher depuis l'Antiquité, où les sorcières exerçaient en tant que prêtresses, dans des temples ou pour des villages, avant de tomber en disgrâce et de devoir disparaître.

Peu de sorcières existaient encore en Corée. Parmi elles, Lee Jaein, mariée Kim. Elle élevait seule ses deux fils, jumeaux, Kim Jongsuk et Kim Jonghyeon. Son mari était en effet décédé lorsqu'il avait été emmené de force se battre contre l'armée japonaise, laissant ainsi derrière lui une femme et deux fils. Kim Jaein s'était alors promis de ne jamais abandonner ses fils, et de tout donner pour eux. Elle exerçait secrètement sa profession de sorcière, afin de fabriquer diverses potions qu'elle revendait à des acheteurs nomades qui ne craignaient en rien la sorcellerie.

Cette situation durait depuis plusieurs années, quand le village où elle habitait l'accusa de sorcellerie. La sentence fut immédiate. Elle fut conduite au bûcher. Elle ne craignait pas la mort, elle craignait pour la vie de ses fils, alors âgés de 17 ans. Lorsqu'on la fit grimper sur la paille sèche, prête à s'enflammer, elle jeta un dernier regard d'amour à ses fils. Elle ne voulait pas les laisser. Elle se l'était promis, elle ne les abandonnerait pas. Alors que ses fils étaient tirés loin du bûcher, elle commença a réciter, doucement, une formule. Le feu s'empara d'elle, et la brûla. Dans un dernier souffle de vie, elle hurla à ses fils qu'ils ne seraient plus jamais seuls. Non, jamais.

Et lorsqu'elle ouvrit les yeux, elle sut qu'elle avait réussi. Un très bel homme se tenait face à elle. Il avait un bouc, des cheveux longs bouclés, mais un regard mesquin, mauvais, mais toutefois intéressé. C'était le diable, et il lui parla. Il lui demanda pourquoi elle avait souhaité le rencontrer, et la réponse qu'elle lui donna fut celle qu'il attendait. Elle voulait se venger de ceux qui avaient rendus ses enfants orphelins. Elle voulait pour eux une vie meilleure, quitte à détruire le reste de l'humanité.

Le diable lui proposa un pacte. Il lui offrait le moyen de se venger, et elle lui offrait tout son bonheur, toutes ses joies. Elle devait souffrir, devenir indifférente à la douleur, la sienne, et celle des autres. Elle accepta le pacte, à la condition qu'elle puisse conserver son amour pour ses fils. Le diable lui accorda cette faveur.

Dès cet instant, Jaein devint laide, âgée, aigrie, et fantôme. Elle se rendit sur Terre, et détruisit tout son village, par sa seule colère. Seuls ses fils furent épargnés. Elle érigea une immense forêt qui vint remplacer les vestiges du village, et au centre de cette forêt, elle créa un manoir immense, d'un genre jamais vu. Son souffle protecteur conduisit ses fils jusqu'au manoir. Ils découvrirent un lieu chaleureux, brillant, magnifique.

Pour tenir sa dernière promesse, Jaein créa des pièges dans la forêt, des pièges à humains. Chaque humain qui tombait dans un piège devait errer à jamais dans cette forêt, sans pouvoir en ressortir, avec pour seule solution de se rendre au manoir.

En décembre 1283, trois garçons perdus pénétrèrent dans la forêt, et se perdirent. Le plus jeune des trois se pris les pieds dans une ficelle tendue. Jaein, qui attendait ce moment avec impatience, s'approcha, invisible. Elle murmura des mots doux, apaisants, mais surtout une formule terrible : ces trois garçons, condamnés à vivre dans cette forêt, devaient maintenant oublier leur passé, et vivre seulement pour cette forêt et ce manoir. Ce qui devait arriver arriva, et les garçons trouvèrent le manoir, où ils furent accueillis par les jumeaux. Ils vécurent tous les cinq heureux, n'ayant plus de souvenir de leurs passés, n'ayant plus l'envie de partir. Tous leurs souvenirs, toutes leurs angoissent étaient renfermés dans une petite pièce fermée que seule Jaein pouvait ouvrir.

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