Son cœur faillit le lâcher lorsqu'au bout d'une attente interminable, une voix se fit enfin entendre à l'autre bout du combiné.
« Allo ? »
Aurélien resta muet, cloué sur place et les larmes s'échappant de ses paupières trop pleines, lorsqu'il reconnut la voix de Guillaume. Enfin... Enfin, il était là. Pas physiquement, c'est vrai. Mais il était quand même là.
« Allo ? répéta Guillaume d'une voix confuse. Il y a quelqu'un ?
— G-Guillaume... ? se dépêcha-t-il de dire en se rendant alors compte de son silence et ayant soudain peur que Guillaume ne raccroche.
— Orel ? dit la voix à l'autre bout du combiné et celle-ci se fit imperceptiblement plus douce. Orel, c'est toi ?
— O-Oui, c'est moi... bégaya-t-il alors qu'il entendait son cœur battre à toute allure dans sa poitrine.
— Putain, Orel... dit Guillaume d'une voix soulagée et il eut l'impression de l'entendre se redresser contre quelque chose. Si tu savais... Comme j'ai eu peur, putain, continua le plus vieux et il entendit une pointe de douleur dans sa voix. Je suis tellement soulagé de savoir que tu vas bien. Comment tu te–
— Tu as mal ? demanda Aurélien, inquiet, en ne le laissant pas finir sa phrase.
— Pardon ? lui répondit une voix étonnée et il sentit son cœur battre d'inquiétude.
— Guillaume, est-ce que tu as mal quelque part ? Je l'entend à ta voix... Est-ce que ton père... »
Un petit silence suivit sa déclaration et il réfléchit, se demandant comment il pouvait tourner la question qui lui brûlait les lèvres.
« Guillaume, ton père...
— J'aurai pas dû prendre sa caisse, le coupa alors le basané en riant doucement. Mais ne t'en fais pas, ça va. J'ai pas mal, j'ai l'habitude maintenant. Et toi, comment tu te sens ? lui demanda-t-il pour changer de sujet.
— J'ai peur pour toi, répondit-il dans la seconde, d'une voix tremblante.
— Orel... Il faut pas que–
— Non, Guillaume, se mit-il à pleurer. Ton père est un malade. Il va te tuer un jour. »
Un long silence suivit sa déclaration et, un instant, il eut peur que Guillaume ne pense à raccrocher.
« Et tu crois pas... que c'est ce que je mérite ? lui demanda alors Guillaume d'une voix blessée à l'autre bout du fil et il sentit son cœur se fendre dans sa poitrine.
— N-non, non... Tu mérites beaucoup de choses mais pas ça...
— Après tout ce que je t'ai fait endurer au lycée, Orel... Tu continues de tenir ce genre de propos insensés... Je ne te comprends... vraiment pas, dit Guillaume dans un soupire fatigué.
— Ne dis pas de conneries ! s'écria-t-il alors à travers ses pleurs. Tu ne mérites pas de mourir juste parce que tu as joué au connard avec moi au début de l'année. Parce que t'as agi comme un salaud de première qui se croit tout permis, surtout d'amuser la galerie et d' harceler plus faible que lui.
— Tu vois, Orel... Même toi, tu l'avoues, dit le plus vieux d'une voix triste. Que je suis le pire des salopards...
— Je n'ai jamais dit le contraire, dit Aurélien en serrant la mâchoire. Tu m'as fait beaucoup de mal et je t'en ai longtemps voulu. Je me suis longtemps demandé ce qui n'allait pas chez moi pour que tu t'en prennes ainsi à moi de cette manière, inlassablement, chaque jour. Mais j'ai compris, Guillaume. Le problème ne vient pas de moi. Il vient de toi. C'est à l'intérieur de toi que quelque chose s'est brisée, comme tu me l'as si bien dit il y a si longtemps. Pas chez moi, dit Aurélien en essayant de contrôler les tremblements dans sa voix et de se calmer. Mais toute chose peut se réparer, si on lui en laisse le temps. Un peu de temps... Et beaucoup de patience. Ce sont deux choses dont tu as besoin et... Et que je suis prêt à te donner, Guillaume. Parce que tu n'es pas né ainsi. C'est ton père qui a fait de toi ce mec-là. Et je refuse de te laisser plus longtemps être ce mec-là sans au moins essayer de t'aider. C'est pour ça que... j'ai décidé... de te pardonner, Guillaume... dit-il en pleurant doucement. Un salaud... a bien le droit d'avoir une deuxième chance lui aussi, non ? »
Il eut l'impression d'entendre des sanglots à peine retenus de l'autre côté du combiné et son cœur se serra, en se demandant si c'était son discours qui avait causé cela. Est-ce qu'il avait réussit à transpercer l'armure de pierre du plus vieux ?
« Je suis tellement désolé, Orel. Je m'en veux tellement... dit la voix tremblante du basané entre deux sanglots. Je te jure que dès que je m'en suis rendu compte... Du mal que je te faisais... Que je ne voulais pas devenir cette personne-là... J'ai tout fait pour me racheter... J'ai menacé les autres de ne plus t'approcher, je sais faire que ça, menacer. J'ai essayé de leur faire avouer ce qu'il s'était passé à la fête d'Emma, mais aucun ne savait de quoi je parlais... J'ai tout fait pour te protéger à partir de ce moment-là, c'était mon seul but... Mais tu ne m'as pas cru et... Je ne savais plus quoi faire pour te faire réaliser que ce n'était pas moi... Ta grand-mère... Elle ne voulait pas que je t'approche... Et quand j'ai enfin compris qui c'était... Elle m'a tiré dessus et...
— Elle s'excuse, d'ailleurs.
— Q-Quoi...?
— Mamie... dit Aurélien et un petit rire s'échappa sans qu'il ne puisse le retenir de ses lèvres. Elle s'excuse de t'avoir tiré dessus. Elle a avoué qu'elle avait complètement pété les plombs et qu'elle n'aurait jamais dû faire ça. Mais la carabine n'était pas chargée... Il n'y avait aucune balle dedans...
— V-vraiment ?
— Oui, je te jure. Elle me l'a prouvé juste après.
— Attends, attends... dit soudain Guillaume. Tu étais là, Orel ? Tu as vu la scène ? »
Aurélien hocha la tête tristement avant de se rappeler que le plus vieux ne pouvait le voir :
« Oui, j'ai tout vu. J'étais à ma fenêtre quand j'ai vu mamie s'avancer vers toi avec la carabine et quand elle a tiré je me suis précipité au-dehors, mais tu étais déjà parti...
— J'ai eu tellement peur, putain, avoua alors Guillaume. J'ai eu la frousse de ma vie. Je me suis dit qu'elle était complètement folle et que j'aurai pu y laisser ma peau. Tout ça pour une lettre que j'aurai pu tout simplement laisser dans ta boite aux lettres...
— Je suis désolé...
— C'est pas de ta faute, Orel, le coupa Guillaume.
— Mais si j'- commença-t-il à argumenter avant que Guillaume ne le coupe à nouveau.
— Non, c'est pas de ta faute. Mais maintenant, tu peux comprendre pourquoi je ne t'ai pas ramené après la piscine, hein ? »
Aurélien acquiesça, en se perdant dans ses pensées, repensant aux évènements récents. Il repensa à la lettre, à ce qu'il y était écrit, à ces trois petits mots qui avaient chamboulé son cœur. Est-ce que Guillaume les pensait vraiment ? Ce n'était pas le bon moment pour en parler, pensa-t-il en se reprenant.