Chapitre 27

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Je levai alors les yeux sur les centaines d'écrans disposés au dessus des bureaux. Je reconnus les salles du palais, puis l'avenue et le podium au milieu de la foule hilare. Une autre image révélait l'intérieur d'une prison où des hommes et des femmes étaient disposés dans une même cellule trop petite. J'écarquillai les yeux d'horreur et j'avançai vers les autres écrans. L'image décrivait la même scène triste d'une prison-garde. Je remarquai alors l'écriteau affiché en haut de l'écran : Angleterre. Je courus jusqu'à l'écran suivant qui indiquait : Vietnam. Toujours les mêmes images. Des hommes et des femmes enfermés dans des cellules aux conditions d'hygiène douteuses. La description indiquait : prison-garde d'Hanoï. Selon les pays, les prisons étaient sensiblement différentes. Je regardai des images dont je ne préfère pas décrire l'horreur. Prise d'un haut le cœur, je titubai. Ce que je n'avais osé imaginé ni même croire était là devant mes yeux. Je ne sais pas si ce fut la chaleur ou l'horreur de ce moment mais je fus prise de vertiges. Je me retins à la table du bureau et j'observai les dizaines de boutons sur les tableaux de commande. Je ne pouvais admettre que l'homme soit si impitoyable. Pourtant il l'était, barbare et insensible. J'avais vu par le passé les horreurs que l'homme avait commises. Alors malgré l'évolution, nos cœurs resteraient à jamais sanguinaires? Les vices de l'homme ne disparaîtront-ils jamais ? Pourtant, je savais qu'il existait des hommes bons avec un cœur, avec de la pitié. Aucune cruauté n'est justifiée. Alors peut-être que le monde c'est ça. C'est un combat constant entre le bien et le mal. Le bien doit toujours triomphé, pensai-je. 

J'essayai de comprendre le mécanisme de contrôle des prisons lorsque je remarquai un levier. Une étiquette indiquait « unlocked ». Je l'abaissais. Rien ne se produisit. Je poussai un cri de frustration.  Puis soudain, je vis toutes les portes des cellules s'ouvrirent en même temps. Je vis les hommes et les femmes s'interroger sur ce qui venait de se produire puis se jeter au dehors et fuir. Je me jetai sur le levier d'à côté et la même chose se produisit. J'observai la longueur de la salle. Il devait y avoir une quarantaine de pays. L'adrénaline monta dans mes veines. J'avais trouvé. Je courus en boitillant jusqu'au premier levier et je l'abaissai. Je procédais dans l'ordre à toute vitesse. Je ne sentais plus ma jambe droite. Soudain, sans savoir comment je me retrouvai au sol. Je voulus me relever mais mes muscles ne m'obéirent pas. Puis ce fut le noir complet. Quelques secondes après mes yeux se rouvrirent. J'avais chaud, beaucoup trop chaud. Ma jambe saignait. Je me relevai lentement. Tout va bien, pensai-je. Je découpai ma robe et j'essayai de m'en faire un garrot. Le sol autour de moi était tâché de sang. J'essuyai la sueur de mon front d'un revers de main. Je me relevai doucement sur une jambe et je continuai ma tâche. Avec plus de précaution, je m'aidais du bureau pour avancer. A chaque pays passé, j'avais la joie de voir des visages crispés s'éclaircirent. Et ce sentiment valait la force du monde entier. J'avais fait plus de la moitié lorsque mes jambes se dérobèrent sous moi une deuxième fois. Avec encore plus de rage, je me relevai. Je me disais continuellement « un de plus, encore un ». Je sentais une fatigue profonde montée en moi. Je l'ignorai. Je suai à grosses gouttes. J'y étais presque. Ma main se posa sur un levier mais elle glissa et mon épaule cogna le sol. Je levai le bras et je l'abaissai. 

~

C'est en rampant cette fois que j'atteins le prochain levier. Je lève à nouveau le bras et je pousse le levier de tout mon poids. Mes yeux me brûlent. J'ai soif, horriblement soif. Mon regard se tourne vers la porte. Elle me semble si loin. Je n'arriverais pas à la rejoindre. L'évidence me frappe violemment. Mam serait fière de moi. Je l'espère. Je m'empare de mon collier pierre de lune et je le décroche de mon cou. Je le serre contre mon cœur. Il ne reste qu'un levier. Je veux lever le bras mais je n'y arrive pas. Le dernier. Mais il y a un moment où, votre corps malgré votre force morale ne vous obéis plus. Ma tête est posé sur  le sol en marbre. Un jour, un homme m'a dit que ce qui compte ce n'est pas la force des coups que tu donnes, c'est le nombre de coups que tu encaisses tout en continuant d'avancer, ce que tu arrives à endurer tout en marchant la tête haute. Un homme m'a dit qu'être forte ce n'est pas être invincible, c'est être humaine. C'est glisser, s'accrocher à n'importe quoi, n'importe qui pour ralentir la chute. Mais il n'était plus là. Un jour, cet homme m'a dit que pleurer ne signifiait pas être faible. Un homme m'a dit que retenir sa tristesse gelait le cœur et que cette tristesse devenait haine. Et qu'il fallait me méfier d'elle et seulement d'elle. Et je sentais mon cœur aussi froid qu'une pierre. Insensible. Les larmes éclatèrent et dévalèrent mes joues. J'avais préféré haïr Léopold. Je n'avais rien fait lorsqu'on lui avait tiré dessus. Mais maintenant j'avais l'impression d'évacuer toute cette haine par les larmes. D'essayer d'attendrir ce cœur trop dur. « Pleurer c'est avoir des sentiments Elea, et tu en as ». Oui j'en avais. Puis je ne sentis plus rien. Juste cette impression de flotter...

~

Un homme rentra dans la salle de contrôle la main sur le torse. Il aperçut la fille au fond de la pièce devant le dernier levier. Il l'abaissa. La jeune fille tenait son pendentif pierre de lune sur le cœur. Elle paraissait avoir pleuré. L'homme souleva la jeune fille et cala son corps inerte dans ses bras, non sans pousser un gémissement de douleur. Ses yeux fixèrent ce beau visage et les larmes qui y étaient encore. Il sortit de le pièce plié en deux. Il régla son oreillette et appela d'une voix rauque :

-Simon.

Plusieurs secondes s'écoulèrent.

-Qui est-ce ?

-Je...J'ai la fille Simon...

-Léopold mon dieu tu es vivant ! Où es-tu ?

-Au quatrième. Besoin d'aide...

Léopold prit sur lui pour continuer d'avancer. La balle l'avait touché juste au dessus du cœur, son gilet pare-balles avait diminué les dégâts.

Ma Pierre de Lune (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant