Chapitre 15

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Mais je n'écoutais plus Léopold parler. J'eus soudain très froid dans cette pièce. Je ne me reconnaissais plus. Il fallait que je vois la vérité en face, que je le dise à voix haute :

-Léopold.

Ma voix était rauque. Il s'arrêta de parler puis me fixa de ses yeux bleus.

-Ils m'ont entraîné à survivre, mais ils m'ont entraînée à tuer aussi. Je suis faite pour ça. Ils m'ont transformée. Je ne suis plus qu'une machine à tuer, j'ai parfois l'impression que mon cœur même s'il bat, s'est comme gelé pour ne plus rien ressentir. Pourtant j'ai horriblement mal.

Des larmes chaudes coulaient le long de mes joues.

-J'ai peur d'avoir perdu mon humanité.

Je fixai mes mais encore tâchées de sang.

-Je les ai tués, les cinq, tous.

-Elea calme toi. C'était pour te défendre.

Je secouai la tête. Non pas tous. La haine oui c'est ça, la haine m'a poussé à le faire. Je m'assis sur le sol froid, prise de tremblements. La fatigue et la peur refoulée m'oppressaient à présent. D'un geste de rage, j'essayais d'essuyer les larmes qui coulaient. Léopold me saisit alors les mains et s'accroupit devant moi.

-Elea, sa voix était douce, pleurer ne signifie pas être faible, au contraire. J'ai bien vu tu t'es toujours retenue mais c'est mauvais tu vois.

Il posa sa main sur ma poitrine.

-Ça reste là et après ça gèle ton cœur. La peur devient haine. Méfie toi seulement d'elle, la haine. Pleurer signifie avoir des sentiments Elea et tu en as des sentiments.

Il disait vrai. Léopold me prit contre lui au sol et m'entoura de ses bras protecteurs. Ce geste m'aurait surpris en temps normal mais c'était différent à ce moment. Alors pour la deuxième fois je me laissai aller à pleurer, vider mon cœur de toutes ses impuretés qui le rongeaient. Nous restâmes longtemps ainsi. Puis il vient un moment où le cœur est de nouveau sain. Je levai mes yeux sombres sur lui plein de gratitude. Il détourna ses yeux et murmura :

-Tu es forte Elea, je t'envie parfois. Surtout n'oublie jamais qui tu es et pourquoi tu te bats.

-Je n'en suis pas si sûre. Au final qu'est-ce que la force ? Avant je me sentais forte, avec ma famille, quand tout allait bien. Maintenant...

Il m'interrompis et plongea ses yeux bleus dans les miens. Léopold dit avec passion :

-Je crois, je crois que la force ce n'est pas ça. C'est bien plus. La force c'est quand tu te bats pour vivre. Tu refuses de mourir. T'as cette envie Elea quand je regarde tes yeux de tout foutre en l'air, de tout défoncer. La force c'est de se relever quand tu es à terre même lorsqu'on t'a enfoncé le visage dans la boue. La force c'est pouvoir regarder la douleur en face, lui sourire. Ce qui compte, ce n'est pas le nombre de coups que tu donnes, c'est le nombre de coups que tu encaisses tout en continuant d'avancer. Ce que tu arrives à endurer tout en marchant la tête haute. Tu comprends ? C'est ramper lorsqu'on ne peut plus marcher...

Il y eut un silence, mon cœur cognait fort dans ma poitrine. Il effleura ma cicatrice en croissant de lune sur ma tempe et il vint essuyer une larme sur ma joue de son pouce.

-Il y a autre chose Elea aussi. Forte, ça ne veut pas dire que tu ne pleures jamais. Forte, ça ne veut pas dire que tu n'a jamais mal, que t'as jamais froid. Forte, ça veut dire essayer de faire avec. Forte ça veut dire avoir les larmes qui coulent et les essuyer d'un revers de la main rageur. Forte c'est quand tu glisses, tu t'accroches à n'importe quoi, à n'importe qui, pas pour remonter, pas forcément, mais pour ralentir la chute. Forte, ça veut pas dire invincible. Ça veut dire humaine.

J'acquiesçai de la tête, incapable de prononcer le moindre mot. Le moment était poignant. Les larmes continuaient à couler. Il avait une haute estime de moi. C'était réciproque. Mes larmes séchèrent. Je posai ma tête sur son épaule. Je ne me sentais plus seule. Il déclara soudain :

-Je dois partir.

-Non reste, s'il te plaît...

Il leva ses yeux ardents vers moi.

-Laisse moi partir.

Je secouai la tête. Il resta assis. Je savais son regard posé sur moi et je m'endormis.


Le visage d'Eliott penché sur moi. Ses yeux injectés de sang. Les sièges du podium, Mazart posant ses yeux vicieux sur moi. Je criai aux autres candidats de venir m'aider. Ils rirent en me toisant. Les ongles d'Eliott me lacérèrent la poitrine. Je me réveillai en sursaut. Il faisait nuit noir. Je haletai, prise de panique. Alors je sentis une main dans la mienne, celle de l'agent 02. Je me calmai me souvenant où je me trouvais. L'agent dormait près de moi. Je l'observai. Son tee-shirt moulant dévoilait une carrure musclée. Je devinai les contours d'un pendentif en forme de croix accroché à son cou. Sa poitrine se soulevait au rythme régulier de sa respiration. J'observai ce visage que je ne pouvais voir. La lune éclairait très faiblement la pièce. Sa mâchoire était carrée, ses yeux fermés. Mon regard se posa sur ses lèvres fines entrouvertes. J'approchai mon visage du sien. Je sentis son souffle chaud sur ma joue. Mes lèvres effleurèrent les siennes. Il ne bougea pas. Je l'embrassai alors furtivement tel un enfant qui sait pertinemment qu'il n'en a pas le droit.

Ma Pierre de Lune (tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant