Le coeur vide [Terminée]

Chapitre 10

J'étais en colère. Ça faisait un an que ça ne m'était pas arrivé. La dernière fois, c'était à l'enterrement de mes parents, et ça avait été horrible comme sentiment. Cette impression de subir une injustice, ça m'avait mis dans une colère noire, et j'avais pensé que plus rien au monde ne pourrait me mettre en colère après ça. Pourtant là, c'était bien le cas. J'étais fou de rage.

J'en voulais tellement à Taehyung. Je n'arrivais pas à croire qu'il voulait me faire porter le chapeau en cachant la clef qui permettait d'accéder au toit sous mon matelas. Je lui faisais confiance, je le considérais même comme un ami. Et au final, il m'avait trahi. En fait c'était ça qui me mettait hors de moi. Je me fichais de passer pour le coupable de l'histoire, puisque d'une certaine façon, je l'étais. En revanche j'étais en colère contre Taehyung parce qu'il m'avait trahi, alors que l'idée même de le dénoncer ne m'avait jamais traversé l'esprit.

Je mourais d'envie d'aller le retrouver pour déverser toute ma colère sur lui. Sauf que je ne pouvais pas parce que j'étais coincé là, dans le bureau de madame Kim. J'étais assis sur une chaise inconfortable et madame Kim, elle, était assise en face de moi. Monsieur Choi, mon psychologue, et monsieur Lee, mon psychiatre, étaient également là.

Ils affichaient tous les trois des visages inquiets et graves, persuadés que j'avais volé la clef pour pouvoir accéder librement au toit et me jeter dans le vide dès que j'en aurais eu marre d'être ici. Bien sûr, ils se trompaient mais j'étais incapable de le leur dire. Parce que la colère qui m'envahissait était si forte qu'elle empêchait le moindre son de franchir la barrière de mes lèvres. Je bouillonnais de l'intérieur mais je n'arrivais pas à m'exprimer. Les mots étaient bloqués au fond de mon estomac.

-Jungkook, si tu as quelque chose sur le coeur, c'est le moment idéal pour le dire, m'a dit madame Kim d'une voix très douce comme si elle avait peur de me brusquer.

-...

-Tu sais, nous ne sommes pas là pour te punir, nous voulons seulement t'aider. Visiblement, tu ne te sens pas bien ici, mais il faut que tu comprennes que psychologiquement parlant, tu es malade, et c'est ici que tu dois être pour guérir. Pour ça, il y a des tas de solutions, et mettre fin à ses jours n'en est pas une.

-...

-Ça fait à peine deux semaines que tu es là, ce n'est pas beaucoup, il faut que tu sois patient. Monsieur Lee t'a prescrit un très bon traitement antidépresseur, mais seulement il faut du temps pour que les médicaments fassent effet. Et c'est pareil pour la thérapie que tu as commencé avec monsieur Choi, il faut du temps pour avoir des résultats. Tu ne vas pas rester comme ça toute ta vie, il ne faut pas perdre espoir, Jungkook.

Qu'est-ce qu'elle m'ennuyait avec son beau discours. Ces mots me passaient complètement au-dessus. Elle n'avait pas l'air de savoir que de telles paroles n'avaient strictement aucun impact sur un dépressif comme moi. Elle a parlé comme ça pendant près d'une demi-heure, et quand elle a terminé, ça a été au tour de monsieur Lee et monsieur Choi de s'y mettre. C'était un vrai cauchemar. À plusieurs reprises, ils ont essayé de me faire parler. Mais j'ai gardé les bras croisés, la tête baissée, et surtout la bouche bien fermée. Alors, au bout d'une éternité, ils ont décidé de me libérer. Enfin.

À peine sorti du bureau de madame Kim, je me suis mis à la recherche de Taehyung. Par chance, je n'ai pas eu beaucoup de mal à le trouver. Je l'ai aperçu au loin tandis qu'il se baladait seul dans le jardin, les mains dans les poches, le visage heureux et apaisé, comme quelqu'un qui n'avait jamais trahi personne. Ça m'a encore plus remonté contre lui.

Je me suis approché de lui en courant et il a eu à peine le temps de se tourner vers moi lorsque je l'ai poussé par terre d'un geste violent. Il a lâché un petit cri de surprise. Tandis qu'il tentait de se relever, mes mots, qui jusque là étaient bloqués au fond de mon estomac, ont subitement remonté le long de ma trachée et ont jailli sur lui avec si peu d'élégance. C'est simple, je ne pouvais plus m'arrêter de l'insulter, et il n'y avait personne autour de nous, donc personne ne pouvait m'arrêter.

-Va te faire foutre, sale connard, espèce d'enfoiré de merde, t'es vraiment un putain de bâtard...

Dès qu'il a réussi à se remettre debout, il a attrapé mes deux mains pour m'empêcher de le pousser à nouveau.

-Ouh là, stop, Jungkook, calme-toi, pourquoi tu m'insultes, qu'est-ce qui se passe ?

-Qu'est ce qui se passe ?! Tu as caché la clef que tu as volé dans le bureau de madame Kim sous mon matelas pour me faire porter le chapeau, voilà ce qui se passe !

-Oh mince, c'est là qu'elle était...

-Oui c'est là qu'elle était, crétin ! Et devine quoi, c'est madame Kim elle-même qui l'a retrouvé et maintenant elle est persuadé que je suis le seul coupable de l'histoire !

-Je suis désolé...

-Je n'en ai rien à faire de tes excuses, c'est trop tard ! Je te faisais confiance et toi tu m'as trahi !

-Mais non, je ne t'ai pas trahi. Enfin pas consciemment...

-Pas consciemment ?! Tu te fiches de moi maintenant ?!

-Ce n'est pas une blague, c'est la vérité, Jungkook. Il m'arrive parfois d'avoir des sortes de "trous noirs" ou des "périodes d'absence" pendant lesquelles je fais des choses sans m'en rendre compte, et ensuite quand je reviens à moi, je ne me rappelle plus de rien...

-Hein... Mais qu'est-ce que... Quoi ?!

Il a lâché mes mains et a soupiré avant de reprendre calmement :

-Ce n'est pas compliqué à comprendre, j'ai dû mettre la clef sous ton matelas pendant une de mes "périodes d'absence", c'est tout. Parce que maintenant que j'y pense, je me rappelle qu'il y a quelques jours, je l'ai cherché partout dans ma chambre mais je ne l'ai pas trouvé. Alors j'en ai déduit que je m'en étais débarrassé inconsciemment mais je ne savais pas où je l'avais mise.

Putain. C'était quoi encore cette histoire ?

Je me suis passé les mains dans les cheveux, en me mordant les lèvres. J'avais du mal à me calmer, j'étais complètement paumé, et il y avait de quoi l'être ! Il venait de me dire qu'il m'avait trahi mais qu'il ne l'avait pas fait exprès. C'était un peu absurde. Il n'avait pas l'air de mentir en plus.

-Mais... pourquoi tu as mis la clef sous mon matelas ? ai-je lancé, confus. C'est vrai quoi, parmi tous les matelas qu'il y a dans cet institut, pourquoi tu as choisis le mien ?

-Je n'en sais rien, a t'il répondu en rigolant, je suppose que je l'ai fait inconsciemment parce que je t'aime beaucoup. Mais genre vraiment beaucoup.

-Donc toi tu trahis inconsciemment les gens que tu aimes ? Ça n'a pas de sens !

-Je suis désolé, Jungkook.

-Ouais bin il va te falloir beaucoup plus que ça pour te faire pardonner, mon pauvre gars !

À la seconde même où j'ai fini ma phrase, il a placé ses mains de chaque côté de mon visage et m'a attiré vers lui d'un geste brusque pour presser ses lèvres contre les miennes.

Là. Comme ça. D'un seul coup. Sans prévenir.

Mes yeux se sont ouverts en grand. Ma respiration s'est bloquée. Je suis resté immobile, le cerveau complètement retourné.

Un tourbillon de sensations a envahi mon corps. Toutes les sensations que j'ai arrêté de ressentir depuis un an, en fait. Elles étaient toutes là : la surprise, la panique, la joie, la colère, la peur, l'excitation, et bien plus encore. Ça me transperçait de partout. Je ne comprenais pas ce qui était en train de m'arriver. Je ne me m'étais pas préparé à ça. Absolument pas. Mon dieu, qu'est ce que Taehyung était en train de me faire ?

Au bout de quinze secondes, il s'est doucement décollé de mes lèvres. Toutes les sensations se sont envolées. J'ai repris ma respiration mais je n'ai pas réussi à bouger.

-J'espère que ce sera suffisant pour me faire pardonner, a t'il murmuré en souriant timidement, les joues toutes rouges.

J'ai cligné plusieurs fois des paupières. J'entendais ses mots mais je ne les comprenais pas. J'étais complètement sonné. Il a affiché son sourire rectangulaire avant d'attraper mes mains pour me faire réagir. Ses doigts étaient brûlants, par réflexe je m'y suis détaché précipitamment. Il a mal interprété mon geste et son sourire s'est évanoui. Il a alors affiché un air embarrassé avant de me saluer brièvement. Puis il s'est éloigné de moi d'un pas rapide.