Chapitre 15

2 0 0
                                        

Le lendemain matin, à 6 h 15, Ryan était devant l'immeuble d'Alexis. Il avait dû boire trois cafés pour se réveiller, mais il tenait à savoir si oui ou non Tristan habitait chez son frère.

Ce ne fut qu'une demi-heure plus tard, à 6 h 45, que la porte s'ouvrit sur le mystérieux adolescent. Depuis le trottoir d'en face, Ryan le guettait. Il portait un haut de survêtement kaki trop grand pour lui, dont il avait rabattu la capuche sur sa tête, de manière à dissimuler son visage. Le fil de ses écouteurs dépassait pour disparaître ensuite dans l'une de ses poches où devait reposer son MP4. Ses mains étaient plongées dans ses poches, il portait un jean large et des baskets, aucun centimètre de peau ne dépassait. Ryan avait le sentiment de suivre un fantôme. Il avait envie d'accélérer le pas, de prendre le garçon par le bras et de le forcer à se retourner. De le forcer à lui révéler son visage. Il ne le fit pas. Il avait trop peur de se tromper. Peut que ce ne fût pas lui. Il savait que si l'adolescent n'était pas Tristan, il aurait perdu celui-ci à jamais. Et il ne le voulait pas. Il n'y était pas prêt. Il voulait continuer d'y croire, continuer d'espérer. Le jeune homme avait les mêmes cheveux que son élève, il semblait aussi renfermé que lui, il vivait chez Alexis...Seule la couleur de ses yeux aurait pu permettre à Ryan de l'identifier.

Il le suivit à nouveau dans le tramway, puis dans les rues, sans savoir où il le conduisait. Au moment où il tournait au coin d'une rue, il se retourna. D'un geste vif, Ryan se plaqua contre le mur, le cœur battant, le souffle court. Il attendit un moment, priant pour que l'adolescent ne l'eût pas repéré. Puis, encore haletant, la gorge sèche, il se pencha avec la plus grande discrétion pour revoir le jeune homme. Là, il s'immobilisa.

Celui qu'il suivait avait disparu.

Ryan sentit son cœur s'accélérer. Il bondit hors de sa cachette, tourna à son tour au coin de la rue. Rien. L'adolescent semblait s'être volatilisé. Soudain pris de panique, Ryan regarda devant lui, à gauche, à droite, se retourna pour vérifier derrière lui. En vain.

Il l'avait perdu.

En poussant un soupir de rage, il donna un coup de pied dans un caillou et reprit sa route jusqu'à Darcy. Comme à son habitude, il laissa passer trois tramways avant de pouvoir monter. Comme à son habitude, il fut écrasé par la foule. Comme à son habitude, il sortit à Erasme en même temps que tous les étudiants. Il soupira. Tristan et le jeune inconnu avaient eu le mérite de l'arracher à la monotonie de son existence. Les deux garçons absents, il replongeait dans son cercle incessant.

Lors de son cours, il fit faire des dictées à ses élèves et leur niveau d'orthographe le consterna. Il ne put s'empêcher de penser à Tristan et son estomac se noua. Lui au moins avait le mérite de ne faire aucune faute. Malgré ses silences, malgré son air renfermé et ses sujets alarmants, Ryan se rendit compte à quel point leurs leçons lui manquaient. Certes, ses rédactions étaient inquiétantes. Mais elles étaient en même temps créatives et montraient que Tristan aimait écrire. Ses citations aussi étaient alarmantes. Mais elles étaient la preuve de son amour pour la littérature. Il y avait des étoiles dans la nuit qui l'entourait, Ryan en était certain.

La semaine passa avec une lenteur consternante. Ryan ne fut pas fâché de voir le vendredi arriver. Le soir, en rentrant chez lui, il réalisa soudain la date du jour. Vendredi 10 avril. Il pouvait lire la seconde citation de Fin de Partie. Il ne put s'empêcher de sourire : il avait l'impression d'être un enfant le jour de Noël. Il reprit la pièce de Beckett et l'ouvrit à l'emplacement du second papier. Il remarqua alors que la phrase n'était pas soulignée, mais écrite à la main en haut de la page de titre et qu'elle n'appartenait pas à la pièce. C'était une citation de Beckett, dont la référence de l'ouvrage n'était pas mentionnée. Une fois de plus, Ryan frémit en la lisant.

« Le plus grand des péchés est d'être né. »

Une phrase aussi morbide que la précédente...Mais en les reliant, Ryan eut la confirmation que Tristan serait au cimetière lundi. Il reprit les premiers papiers qu'il avait trouvés.

Lundi 13 avril

23 h

La date et l'heure l'empêchaient de retourner tout de suite au cimetière intercommunal. Il devait attendre. Il n'avait plus que trois jours à patienter, cela irait. Désormais, il était proche du but.

Il s'en voulait d'avoir manqué l'adolescent. Celui-ci lui avait insufflé une bouffée d'espoir depuis la disparition de Tristan qu'il s'était empressé d'inspirer à pleins poumons. Il savait que s'il ne le revoyait pas, cette bouffée s'évanouirait. Et il ne savait pas s'il pourrait le supporter. Il refusait de perdre la moindre piste qui lui permettrait de retrouver son élève.

Cette nuit-là, il fut réveillé une nouvelle fois à 4 h, mais pas par son cauchemar. Ce furent des bruits de vitres brisées, suivis d'alarmes, qui le tirèrent du sommeil. Il repoussa vivement son drap et courut jusqu'à sa fenêtre, qu'il ouvrit. Quatre voitures, garées devant son immeuble, sur le trottoir d'en face, clignotaient. Les alarmes lui vrillaient le crâne. Inquiet, il enfila ses chaussures, son manteau, et descendit pour voir ce qui se passait. Lorsqu'il arriva dehors, il vit que d'autres personnes s'étaient arrêtées. Décidément, Dijon n'avait jamais été aussi vivante qu'en cette période.

Les voitures étaient en piteux état, plus encore que la sienne. Les quatre vitres étaient brisées, de même que le pare-brise avant. Les pneus étaient crevés, la carrosserie, rayée. Les rétroviseurs avaient été arrachés et pendaient mollement au bout de leurs câbles. Les essuie-glaces étaient tordus. Ryan échangea avec les autres passants des regards choqués : comment une telle violence pouvait-elle être possible ?

Alors qu'il allait rentrer chez lui, il aperçut soudain un petit objet près d'une roue de la première voiture. Surpris, il le ramassa...et écarquilla les yeux.

C'était un portable.

Ryan demeura pétrifié, le téléphone à la main. Que devait-il faire ? Le fouiller ? L'apporter à la police ? Le reposer ? Les questions se bousculaient dans sa tête. Finalement, il le déverrouilla d'une main tremblante. Il n'y avait pas de fond d'écran, rien qui permît d'en identifier le propriétaire. Le cœur battant, Ryan ouvrit le répertoire et fit défiler les contacts jusqu'à trouver le nom « Maman ». Il le sélectionna...et hésita, le doigt au-dessus de la touche verte.

Tu dois le faire !

Il déglutit et appuya. La sonnerie retentit. Une fois. Deux fois. Trois fois. Puis, on décrocha. Ryan n'osait plus respirer.

-Tristan ?

Le secret des Dumont [La Grande Dictée 2e jet]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant