4

378 36 8
                                    

On avait passé dix minutes comme ça, ma main sur la sienne à chacun regarder son bout d'horizon. J'avais beau le détester j'avais bien vu qu'il était triste, et on me l'avait dit aux détours de conversations où on ne m'avait parlé qu'en thermes mélioratifs de lui; on disait qu'il était doux, fantasque, un peu sauvage. Qu'il y avait dans son regard quand il se taisait quelque chose qui le mettait à nu. Que parfois quand il riait, sa voix se brisait. J'avais envie de lui parler maintenant.

- On ne m'a dit que du bien de toi, essayais-je pour briser la glace.

Il enleva doucement sa main de sous la mienne pour attraper son briquet et une autre cigarette, faisant attendre sa réponse.

Il releva enfin son regard pour le planter dans mes yeux.

- Ah oui? C'est bizarre. Je ne suis qu'un petit con, répondit-il en souriant.

Je ris légèrement, sa façon de se défendre m'amusais vraiment.

- Un petit con triste, rétorquais-je.

- Après tout qui ne l'est pas? Lança-t-il dans le vide, tirant sur sa cigarette en laissant son regard vaquer dans le paysage nocturne.

- Tu dis que tout le monde doit être triste?

- Je ne dis pas qu'on doit l'être, c'est pas un devoir mais une obligation. C'est impossible d'être pleinement heureux, tout le temps.

- Et pourquoi?

- Parce que le monde tourne mal, tout va mal. Tout est là pour plonger dans une dépression profonde n'importe qui. Et puis même si on pouvait atteindre le bonheur, en fait ce ne serait qu'une illusion, parce qu'on en voudrait encore plus. Tu vois, les seuls gens qui ont tout ce qu'ils veulent pour être heureux, ils cherchent encore plus, toujours plus, et ça donne naissance à des déviances. Les gens vont chercher plus de bonheur dans l'extravagance la plus totale, ça donne des chimères illégitimes.

- On peut être heureux grâce à des choses simples.

- Bien sur, on peut être heureux avec de simples choses. Je suis heureux de temps en temps, quand j'arrive à entrer dans l'ascenseur avant que la porte se ferme ou que je rattrape mon téléphone d'une main de maitre avant qu'il ne tombe, mais ça ne remplacera jamais les points négatifs qui prennent plus de place pendant plus longtemps. Tout ce qu'on peut faire c'est essayer de remplacer ce négatif pendant un moment avec d'autres choses.

- Et pourquoi hein? Des gens sont seulement heureux, pourquoi tu défends bec et ongle ta théorie de la misère universelle?

- Pourquoi, pourquoi... tu sais, c'est pas parce qu'on a l'air heureux qu'on l'est vraiment. Tu vois, c'est comme la clope, il leva sa main tenant sa cigarette en pointant d'un mouvement de menton la mienne. On ne ferme pas les yeux parce que ça nous fait du bien d'aspirer la fumée, on ferme les yeux pour éviter qu'elle ne nous rentre dans les yeux et nous fasse encore plus mal. On peut comparer avec beaucoup de choses, mais la seule conclusion à tout ça c'est qu'on ne peut pas effacer la misère et la tristesse, on peut juste les maintenir au minimum. Chacun à ses méthodes. Moi j'ai la mienne, toi t'as certainement la tienne. Ça ne sert à rien de se poser des questions là-dessus.

Il m'avait, encore une fois, laissé bouche bée. Il m'avait aussi laissé beaucoup de questions en tête.

- Et c'est quoi ta méthode? Demandais-je, réticent.

Il eut un grand sourire.

- Faire ce que je veux, quand je veux.

- C'est pas un peu simpliste?

- On peut être un peu moins triste grâce à des choses simples.

Je souriais en captant son regard, je voyais bien la moquerie dans son regard à sa modification de ma phrase.

happiness ; johntenOù les histoires vivent. Découvrez maintenant