La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève

CHAPITRE 14 - Face à face

Les regards meurtriers que me lançait Lenora commençaient sérieusement à m'énerver. Je n'étais pas la seule responsable !

— Laisse tomber, me chuchota Xerys à côté de moi, chevauchant Saphir. Il paraît que c'est génétique : les Aequoriales et les Meridiems ne sont pas faits pour s'entendre.

Cela expliquerait pourquoi Elyon m'évite depuis avant-hier soir, pensai-je amèrement. Je levais les yeux, observant pour la énième fois les deux Meridiems voler ensemble. La hauteur des arbres de cette forêt, plutôt considérable, leur permettait de nous survoler sans avoir besoin de se cacher. Voir deux Meridiems ici aurait suscité pas mal de questions...

Ils parlaient entre eux et le sourire qui se peignait sur le visage de Lenora me rendait malade. Xerys avait raison, sinon comment expliquer une haine aussi féroce envers une personne que l'on vient à peine de rencontrer ?

— Respire Seira, tu m'épuises, à ressentir autant d'émotions contradictoires.

— Désolée, lâchai-je d'un ton vague, encore concentrée sur ce qui se passait au-dessus de nos têtes. Pourquoi Lenora avait-elle besoin de le toucher tout le temps comme ça ? ruminai-je.

Xerys avait dû continuer à me parler, car elle s'exaspéra :

— Je me sens vachement écoutée, ça fait plaisir.

Je me repris et reportai mon attention sur mon amie. À nouveau, les cernes sous ses yeux me frappèrent et je réalisai à quel point elle avait changé depuis le mort de sa mère. Elle que j'avais connue si joyeuse était devenue triste et maussade.

— Pardon, excuse-moi, je t'écoute, lui assurai-je. Tu disais ?

— J'ai cru que tu allais désintégrer Lenora, hier soir. Remarque, ça ne m'aurait pas tant dérangée...

Même si j'aurais dû esquisser un sourire ou me mettre à rire, je n'y parvins pas. Après la dispute, je m'étais sentie comme un monstre destructeur qui ne saurait pas se maîtriser.

— Seira, elle l'avait bien cherchée et tu l'as remise à sa place, tu aurais pu le faire un peu plus... calmement, mais ce genre de chose n'est pas toujours évident à contrôler.

Je souris tristement et, voyant que je n'étais pas convaincue, elle enchaîna d'une voix qui se voulut compréhensive :

— Tu t'inquiètes parce qu'Elyon s'est fâché ? Il a le sang chaud, me rassura-t-elle. Je te l'ai dit, quand il s'énerve il ne le fait pas à moitié. Mais pour autant, ça ne signifie qu'il t'en veut ! Il t'a même défendue et...

— Arrête de parler comme si j'étais amoureuse de lui, ce n'est pas le cas, la coupai-je, plus en colère contre moi que contre elle. Et puis tu l'as dit toi-même, nos espèces ne sont pas faites pour s'entendre. L'affaire est close.

Elle haussa les épaules.

— Comme tu veux, mais il y a parfois des exceptions qui dérogent à la règle, tu sais.

Ce qu'elle avançait n'était pas entièrement faux, mais je restai convaincue que ce n'était qu'une attirance passagère. Après tout, il fallait bien l'admettre : Elyon était beau, intelligent, courageux et doué à l'épée. Bref, il avait tout pour lui. Mise à part son caractère totalement lunatique qui pouvait être insupportable, il était l'exemple type du prince charmant que l'on peut retrouver dans les contes. Je ne devais pas être la seule à être ou à avoir été sensible à son charme, et Lenora en était la preuve.

Depuis la veille au soir, il semblerait que la relation que j'entretenais avec la princesse meridiem se soit profondément dégradée, même si elle n'était pas au beau fixe dès le départ. Lorsqu'il avait fallu partager le peu de nourriture que son équipe avait ramenée, j'ai cru qu'elle espérait que je m'étrangle avec. Et, quand nous nous sommes couchés, elle s'était installée à l'autre bout de la pièce et avait prié Elyon de s'asseoir à côté d'elle. Évidemment, il avait accepté. J'aurais dû comprendre : si Lenora faisait partie de la Couronne, il ne pouvait pas refuser. Seulement voilà, j'ai cru qu'un poignard brûlé à blanc me transperçait la poitrine, et je n'étais pas parvenue à dormir le reste de la nuit. La façon que j'avais de réagir lorsqu'Elyon était là était incompréhensible, et à une période de ma vie où je me devais d'être forte, intolérable.