CHAPITRE 30, PARTIE 1 - Ad vitam æternam

16.6K 1.6K 460
                                    

(NB :  si vous écoutez la musique, c'est à vos risques et périls. Les frissons sont inclus dans le pack ; les mouchoirs sont recommandés et non fournis par l'administration.)

Elyon.

Sous le coup de la surprise, je reculai, pétrifiée, mes yeux ne parvenant pas à se détacher de son corps. Je me dissimulai dans l'ombre de mes amis, abaissant mes ailes pour qu'elles ne soient plus visibles.

Il ne paraissait pas m'avoir vue. Ses yeux brillaient, sa poitrine se soulevait à un rythme effréné. Il avait l'air épuisé. Néanmoins, arborant cette aura de puissance qui ne le quittait jamais, il fendit la salle d'un pas rapide, les épaules droites. Un grand homme à la carrure musclée et à la démarche arrogante lui coupa le passage, et, d'une voix hargneuse et irritée, tonna :

— Que fais-tu ici ? Pourquoi as-tu quitté ton poste ?

— Iros, je ne suis pas d'humeur pour tes crises de jalousie habituelles. Laisse-moi passer.

Iros se raidit, et je crus qu'un combat au corps à corps allait s'engager dans la salle. Kalyra intervint :

— Suffit ! (les deux hommes firent silence, se tournant vers leur reine.) Elyon, qu'y a-t-il ? Neres a un problème ?

— Non.

— Dans ce cas, que fais-tu ici ?

Elyon resta muet, ses pupilles vissées dans celle de sa souveraine. Je sus au reflet étrange qui passa dans les prunelles de Kalyra qu'elle usait de son pouvoir pour lire en lui. La réponse dut survenir rapidement, car quand ma grand-mère en prit conscience, ses traits se détendirent et ses yeux Ambre dévièrent sur moi. Là, il arriva ce que je redoutai : par réflexe, Lenora et Xerys s'écartèrent, dévoilant complètement ma présence.

Il capta le mouvement que les deux jeunes filles avaient opéré, et tourna la tête dans ma direction. Nos deux regards se percutèrent avec la même violence qu'une vague qui s'écraserait contre le flanc d'une montagne. J'eus l'impression de pouvoir entendre nos deux cœurs battre, à l'unisson. La chaleur à mon poignet, qui s'était endormie à son départ, refit surface à une vitesse vertigineuse, si bien qu'on aurait pu penser qu'elle n'était jamais partie. Mon ventre se contracta avec une telle force que j'en eus mal. Je ne parvins pas à savoir si j'étais triste, en colère, ou si j'étais juste une enveloppe vide. Peut-être tout cela à la fois. L'unique chose dont j'étais absolument certaine, c'était que tous les efforts que j'avais fournis pour désapprendre à l'aimer étaient vains. Je ne l'avais pas oublié.

C'était trop dur. Je ne pouvais pas continuer de le regarder en me disant que ce que je ressentais pour lui n'aurait pas lieu. Je sentais les larmes monter en moi, et il était hors de question de les lui montrer. Alors, sans réfléchir, je me mis à courir. Je choisis de m'enfuir, ne sachant pas quoi faire d'autre. Mon cœur prit le contrôle, il voulait juste se sortir de là. Mon cerveau le laissa faire ; à cet instant, le regard que les courtisans auraient pu porter sur moi me semblait être la dernière chose qui comptait en ce monde.

Mes sandales claquaient contre le carrelage, produisant un bruit que j'aurais dû entendre dix fois plus fort ; mais tous mes sens étaient perturbés. Je cherchai une sortie, ayant cruellement besoin d'air. Finalement, je trouvai une porte s'ouvrant sur un petit jardin, qui donnait sur une falaise laissant tout voir du paysage environnant. Je m'y engouffrai et m'agenouillai dans l'herbe humide. Tremblante, j'enfermai une touffe d'herbe dans chacune de mes mains, me concentrant sur ma respiration. Inspire, expire.

Soudain, le sol trembla, et quand je redressai la tête, Halcyon était là. Comme pour me faire comprendre que ça irait, qu'il était là, il ouvrit son aile pour me laisser me blottir contre lui. Je ne me fis pas prier, remerciant le ciel de m'avoir donné un Amili. Déjà à l'apparition de mes ailes, il avait presque détruit la façade sud du palais pour essayer d'entrer. Le pauvre avait dû ressentir ma douleur comme si elle était la sienne, et cela devait en être de même aujourd'hui.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome I. La Relève [REPENSÉ & RÉÉCRIT]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant