La nuit est claire et silencieuse. Il fait froid. Il ne pleut pas. J'attends mon tour pour les Enfers. J'exagère. Les khôlles, ce n'est pas toujours l'Enfer. En réalité, j'ai dû en vivre une seule de vraiment terrible. C'est plutôt l'appréhension d'avant la khôlle qui est marquante. Le noeud au ventre, le cœur battant si fort que ses palpitations résonnent contre les murs du couloir vide, comme des cordes de guitare sur une caisse caverneuse, et cette petite voix qui chuchote sans cesse, tu n'as pas assez révisé, tu n'es pas assez fort, tu es nul, tout ça ne sert à rien, c'est inutile, qui sommes-nous dans l'univers, nous ne sommes rien, ça ne change rien, il y a toujours autant de sans-abris, de tristesse, de malheur et je ne peux rien y faire, on ferme tous les yeux au final, on brise, on ferme juste les yeux au final, pour ne pas voir qu'on est juste une misérable poussière dont l'Univers se fiche éperdument, je vais rater, échouer, ça n'en vaut pas la peine, qu'est-ce que je fais ici, je ne suis rien. Et puis, on est aspiré par un grand vide dont la vacuité nous cloue sur place. Et quand on rentre dans la salle, on a accepté notre sort.
La porte s'ouvre. Marina sort de la salle avec son groupe. Ils ont l'air soulagé que ça soit fini. Mais ça ne va pas mieux. On est tous pareil, on s'endort tous les soirs en espérant que ça aille mieux le lendemain, alors qu'on sait pertinemment qu'on sera toujours suivis par le spectre de cette espèce de morosité.
J'entre dans la salle et salue l'enseignant. Chacun prend place au tableau partagé en trois parts égales. Bientôt, seuls les murmures des craies nous font entendre leurs mots rêches. Le colleur me dicte le sujet, je respire un grand coup, je monte dans le train et c'est parti. Je pars dans un long voyage sans en connaître la destination finale. Quand j'arrive à bon port, le colleur acquiesce et sourit, il termine d'un merci je vous mets dix-huit et je peux quitter cette salle étouffante.
Dans le couloir, il n'y a personne. Pas étonnant, il est vingt heures. Je passe devant l'entrée du grand amphithéâtre et suis étonné de voir Marina assise à une des tables en-dessous. Elle me voit. Je souris. J'avance vers elle. Elle semble hésiter une fraction de seconde, comme si elle allait dire quelque chose de maladroit, avant de se raviser et de simplement sourire.
— Hey ! Qu'est-ce que tu fais encore là à une heure pareille ? l'accosté-je, joyeusement.
— Je travaille, répond-elle en désignant ses cours étalés sur la table.
— Tu ne peux pas travailler chez toi ? questionné-je, les sourcils froncés.
— Je n'ai pas envie de rentrer, laisse-t-elle simplement échapper.
D'instinct, je trouve ça curieux. Elle n'est pas toute seule chez elle, quelqu'un l'y attend. Une vilaine petite voix me rappelle alors les paroles de Clément. Je la fais vite taire et m'assois en face d'elle, sortant mes affaires.
D'habitude les gens fuient la solitude, mais Marina, elle, l'embrasse à pleins bras. Elle la pourchasse, comme un rapace en quête d'une colombe.
— Oh, tu fais de l'analyse, constaté-je, pour changer de sujet. Je peux en faire avec toi ? J'ai réussi cet exercice, je peux te l'expliquer !
Ses yeux brillent d'un éclat nouveau et un sourire se dessine sur ses traits fins.
— C'est vrai ? Tu as compris ? Moi je suis complètement perdue ! s'exclame-t-elle en repoussant une mèche de cheveux d'un geste impatient.
— Oui ! En fait, le truc c'est de passer en coordonnées polaires, sinon tu ne pourras pas prouver la continuité en zéro. Regarde, expliqué-je en prenant un crayon de papier. Je peux ? demandé-je en désignant sa feuille.
Elle hoche la tête et je joins le geste à la parole en écrivant la fonction en coordonnées polaires.
— Maintenant, si on calcule la limite quand r tend vers zéro, qu'est-ce qu'on trouve ?
— Zéro, observe-t-elle, les yeux plissés.
— Exact. Et maintenant, on peut remarquer que l'énoncé nous indique que f évaluée en zéro vaut zéro. Donc, comme la limite correspond à la valeur en zéro, f est bien continue en zéro, conclus-je en notant mathématiquement la chose.
— Donc le truc, c'est juste de penser aux coordonnées polaires, murmure-t-elle. OK, merci beaucoup ! J'y penserai, maintenant !
— Je t'en prie ! Ce n'est pas évident, moi j'ai vu cette technique dans un livre, dévoilé-je en haussant les épaules.
Un sourire peint ses traits et je lutte pour ne pas me perdre dans ce bref éclat de beauté heureuse où perce tout de même une pointe de tristesse. C'était ça, son truc. La goutte de tristesse noyée sous un océan de sourires étoilés.
Je m'aperçois que je la contemple depuis quelques instants et rougis. Elle baisse les yeux vers sa feuille.
— Pour la différentiabilité, calculer la différentielle, ça suffit pour prouver que f est différentiable ? demande-t-elle.
— C'est ce que j'ai fait, en tout cas, affirmé-je en désignant ma feuille.
— Super ! J'aurai au moins trouvé seule la réponse à une question ! lâche-t-elle en écrivant la réponse sur sa feuille.
— Tu ne pouvais pas deviner, pour les coordonnées polaires, lui rappelé-je.
— Tu as sans doute raison, répond-elle en souriant à sa feuille.
— Les profs ont toujours tendance à te faire croire que tu es nulle parce que tu ne vois pas les astuces. Mais c'est faux, car une astuce, si on ne te la donne pas, tu ne peux pas la deviner. Et puis, c'est facile pour eux, ils ont des dizaines d'années de recul sur les notions qu'ils enseignent, tandis que nous, on n'a que quelques heures, précisé-je, son regard ancré dans le mien.
— C'est vrai, on l'oublie trop souvent, confirme Marina. Mais ce n'est pas une raison pour se laisser abattre !
— Bien-sûr que non ! Il ne faut jamais ! Au contraire, il faut se relever et leur montrer ce qu'on a dans le ventre, s'accrocher comme du lierre à la façade d'un mur !
— Je ne sais pas si la comparaison est bien choisie, le lierre, c'est un parasite. J'aurais plutôt dit comme une moule à son rocher ! corrige-t-elle en s'esclaffant légèrement.
Je ris aussi tandis qu'elle jette un coup d'œil à sa montre. C'est curieux, les femmes de ménage ne sont pas encore venues nous annoncer qu'elles ferment la fac.
Soudainement, Marina range ses affaires dans son sac. Elle me contemple un tout petit instant, juste assez pour peser le pour et le contre et choisir d'agir sur un coup de tête.
— Suis-moi, dit-elle.
🪶🪶🪶
Hey ! Comment ça va ? :)
Merci d'avoir lu ce chapitre ! Qu'en pensez-vous ?
A votre avis, est-ce qu'Hugo va suivre Marina ? Et si oui, que va-t-il découvrir ?
On se retrouve samedi 8 juillet pour la réponse !
D'ici là, prenez soin de vous ! 🖤
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MARINA
ParanormalMarina, c'était cette fille perdue entre pleins de scientifiques, alors qu'elle n'aspirait qu'à l'Art. Marina, c'était cette fille étrange aux mangas toujours dans le sac. Marina, c'était cette fille de mon cours d'analyse. [[ court roman ]]