Nous avons continué à nous voir les soirs. C'était devenu une habitude, et après tout, nous étions amis, c'était mon rôle de l'aider. Elle se sentait mieux, soulagée, même si elle n'avait plus d'ailes. Elle profitait de l'instant, et moi aussi.
On discutait de tout et de rien. C'était agréable. Comme on ne pouvait plus aller dans la forêt, nous allions au jardin botanique. Parfois, il était fermé et nous escaladions les grilles pour rentrer dedans. J'aimais ce sentiment de ne pas savoir ce que je faisais, de ne pas maîtriser, de ne pas savoir ce que tout ça impliquait. L'adrénaline palpitait au creux de mon oreille.
Un soir, alors que nous parlions paisiblement sur un banc, un bruissement de feuilles retentit dans le silence faiblard. Moi qui tourne la tête, je crois voir une fée. Mais il n'en était rien. Nous avons repris notre conversation le plus naturellement au monde. On parlait des dernières colles, des partiels finaux qui arrivaient. Marina me disait qu'elle avait très peur, car elle n'arrive plus à se concentrer en cours, elle a trop d'idées, trop de scénarios, trop de personnages et elle a de plus en plus de mal à s'empêcher de se jeter dedans à cœur perdu. Son cerveau ne s'arrête pas. Alors, elle prend sa plume et s'en va. Mais c'est toujours plus difficile de revenir dans le monde réel.
A choisir, m'a-t-elle dit, elle irait en physique l'année prochaine. Ça l'intéresse beaucoup plus, surtout qu'elle a les yeux qui brillent dès qu'on en parle.
C'est là qu'un nouveau bruissement de feuilles a retenti. On s'est regardé d'un air interrogatif, sans trop comprendre, et puis on s'est levé pour aller voir. J'ai d'abord pensé à un écureuil ou à n'importe quel autre animal occupant le jardin botanique, mais la seule chose que je suis parvenu à distinguer dans l'encre de la nuit fut une lignée de petits néons. Ma première pensée fut pour les Daleks de Doctor Who, mais ce que j'avais devant moi ne clamait pas haut et fort « Extermination ! Extermination ! ». Et puis, la chose semblait plus grande.
Des craquements sonores retentissent encore, et là, sous la pâle lumière du lampadaire apparaît un automate. Il est rabiboché de partout ; des pièces métalliques recouvrent son corps deçà, du tissu beige pend delà. Que fait-il ici ? Sur sa tête, scintillent deux pupilles autour desquelles on a peint des yeux. Plus bas, l'esquisse de lèvres craquelées se fume autour de deux clous délimitant une sorte de clapet.
Son visage est dénué de toute expression. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'il soit capable d'en esquisser la moindre.
Un cri de surprise franchit les lèvres de Marina. Elle me paraît terrifiée, et je ne sais pas quoi faire excepté lui prendre le poignet pour lui rappeler qu'elle n'est pas toute seule.
— N'ayez crainte.
Sa bouche vient de se tordre en un rictus étrange. Son clapet se referme dans un clac assourdissant. À côté de moi, Marina se raidit. Aucun de nous deux n'ose prendre la parole.
— Je vous entends discuter depuis des jours. La première fois, c'était sous l'effet de coïncidences hasardeuses. Je me promenais sous les arbres pour que personne ne me voit, car souvent, j'effraie les vivants, mais les écureuils et les furets n'ont pas peur. Je ne saurais expliquer pourquoi. Cela m'échappe. Arrêtons notre digression et revenons à notre histoire. Je me promenais lorsque j'ai entendu vos deux voix parler de la vie. J'ai bien aimé ce que vous avez dit. J'ai ressenti quelque chose que je n'avais jamais ressenti auparavant. D'après mon lexique, cela m'a ému.
— Vous vous promenez en plein jour, aussi ? questionne Marina, revenue de sa surprise.
— Oui, tous les jours. Vous êtes les premiers à me remarquer, répond l'automate.
— Personne ne vous remarque ? continué-je, plus qu'étonné.
— Tout le monde ferme les yeux. Les gens ne voient que ce qu'ils veulent bien voir. Ils ne veulent pas voir de choses cassées, fissurées, raccommodées alors ils ferment très fort les yeux, jusqu'à voir des taches blanches et colorées danser sous leurs paupières.
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MARINA
ParanormalMarina, c'était cette fille perdue entre pleins de scientifiques, alors qu'elle n'aspirait qu'à l'Art. Marina, c'était cette fille étrange aux mangas toujours dans le sac. Marina, c'était cette fille de mon cours d'analyse. [[ court roman ]]