6. Demain, 20 heures

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Marina, elle avait envie de revenir en arrière, de remonter le temps. Elle voulait retourner au lycée, que son père l'attende tous les soirs dans la voiture pour rentrer à la maison, et qu'il râle un peu parce qu'elle a du retard. J'espère que maintenant, son futur est plus attrayant que son passé.

Le lendemain, j'ai fait comme d'habitude, comme si rien de tout cela ne s'était passé. Elle aussi, elle a fait comme à l'accoutumée.

   On avait de nouveau analyse, et elle essayait de bien se concentrer, mais son esprit était ailleurs, sûrement avec ses ailes. Plus elle se concentrait sur le cours, plus les plumes tombaient. Je les distinguais gésir sur le sol. Elles brillaient. C'est terrible, car une fois qu'on a aperçu la véritable nature d'une personne, il nous est impossible de la voir autrement. Elle aura beau se déguiser, on verra toujours la vérité à travers les filtres, comme le soleil derrière les nuages.

Je repense à hier soir. C'était si éclatant. J'aimerais y retourner, son univers était si magique, grand et triste à la fois. Elle m'y avait invité, et j'étais tombé dedans pour ne plus jamais en sortir. Maintenant, moi aussi j'ai Saturne dans les yeux quand je regarde le tableau.

J'hésite à lui parler, à la prendre par le bras et à lui dire de s'envoler pour ne plus jamais revenir. Mais, ici, devant tout le monde, je ne peux pas.

  Je me demande depuis combien de temps elle a ces ailes, si ça fait mal quand elles poussent, si c'est comme le pelage des chats : elles tombent et sont remplacées par d'autres plus épaisses à mesure que l'hiver approche, si leur éclat l'empêche de dormir. Si elles sont phosphorescentes ou fluorescentes, si elle peut s'allonger sur le dos sans se faire mal, si elle saigne quand on les lui coupe et ce qu'elle sous-entendait quand elle m'a soufflé ne pas être un ange.

   Les anges, dans la bible ils ont de grandes ailes, de grands yeux et sont majestueux, comme Marina. Les démons par contre, ils n'ont pas d'ailes aussi immaculées, je crois. Peut-être qu'elle a voulu dire qu'elle ne venait pas d'une espèce de force de céleste, qu'elle n'était pas tombée du ciel.

   Ça y est, le cours est terminé. Je n'en ai pas écouté une seule minute. Je vais pouvoir lui parler, si elle est seule (ce qui est presque impossible, elle reste presque toujours travailler avec ses amis). Je la vois se diriger vers l'escalier et descendre du premier étage. Ses amis discutent devant elle, elle est seule derrière.

— Hey ! la hélé-je en lui tapotant l'épaule.

Elle tourne la tête et me sourit.

— Ça va ? demande-t-elle, tout naturellement.

Et je sais qu'elle ne le fait pas par convention, qu'elle ne s'attend pas forcément à ce que je réponde par l'affirmative et à ce qu'elle continue son chemin sans en savoir plus. Elle veut vraiment savoir.

Je lui réponds que ça va et lui retourne la question, et par convention elle me répond par oui. Elle n'a pas besoin de me confier quoi que ce soit. Je connais déjà la vraie réponse. Je me mords la lèvre et hésite avant de me lancer.

— J'aimerais te revoir, lui avoué-je du bout des lèvres, espérant qu'elle comprenne que je voulais revoir ses ailes, qu'elle me raconte, qu'elle m'explique.

Elle me jauge un instant de son regard perçant. Elle a saisi.

— Demain, 20 heures.

Et elle s'en est allée, comme ça, sans un mot, sans attendre ma réponse. Peut-être qu'elle la fuyait, elle avait tellement peur à ce moment-là.

Chaque jour, j'essaie d'écrire un nouveau chapitre, même si je sacrifie mon sommeil. Il est moins important de toute façon. Écrire pour ne plus avoir à subir. Écrire pour m'épanouir.

MARINAOù les histoires vivent. Découvrez maintenant