Chapitre 26

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Des rumeurs circulaient dans la Capitale. Emportées par les bagous, elles sillonnaient les ruelles restreintes par les odeurs vagabondes et la noirceur de leurs occupants. Les échos d'un camp de résistants, formé dans un lieu cryptique, commençaient à agiter les troupes. Une fois l'effarement assimilé, les révélations de l'héritière avaient soulevé bien des maux et insufflé une énergie intrépide aux impécunieux. Les enfants perdus en avaient eu vent. Ils devaient quitter la bibliothèque, l'endroit n'était plus sûr pour eux. Il recelait de souvenirs. Chaque matin, ils se réveillaient en voyant le lit de Hua vide. Ses draps étaient froids et lisse comme la pierre tombale qui marquait désormais son antre. Ils interrogèrent les habitants du quartier. Une maison après l'autre, les prolepses s'enchaînèrent. Après maintes tentatives qui n'en menèrent pas large, ils soudoyèrent quelques vieilles carcasses et de vieux rats d'égouts jusqu'à ce qu'une voisine, indiscrète et trop curieuse, avoua avoir aperçu quelques habitants partir dans l'obscurité de la nuit pour rejoindre ce lieu secret.

Brögan était dépité. Un bidon dans chaque main, il traînait volontairement des pieds. Il balança ses bidons dans l'herbe enneigée. Le parc se situant dans l'ombre du soleil, la neige persistait encore alors que les températures s'adoucissaient. Ses yeux chocolats parcoururent le paysage, cherchant l'endroit le plus propice pour s'infiltrer dans le champ. Puis, il rampa en dessous du barbelé, prenant garde à ne pas trouer une nouvelle fois son gilet en laine. Ce soir, les moutons étaient agités. Le soleil se couchait, disparaissant derrière les hauts bâtiments de la Capitale. La bibliothèque était perchée sur une colline, de ce fait, il pouvait voir les contours de la ville se dessiner dans le panorama anthracite.

Le garçon, de petite taille, dut se mettre sur la pointe des pieds pour attraper la chaîne rouillée qui lui permettait de descendre un seau dans le puits. Une source habitait les profondeurs de la terre. Il sifflota, imitant les oiseaux qui piaillaient à la lisière de la forêt. Ses sourcils se froncèrent. Il se pencha au dessus du seau. La couleur étrange de l'eau intrigua le garçon. Ses doigts enjôlèrent le liquide écarlate. L'eau autrefois cristalline était d'un rouge exalté. Le puits était encore une fois infesté d'algues ! C'était au tour de Brögan de s'y coller. Il devrait trouver un autre point d'eau potable pour réapprovisionner leurs réserves et il avait clairement la fainéantise de devoir marcher jusqu'à la prochaine source. Elle était à au moins trois kilomètres de marche ! Il choisit la décision qui lui semblait le plus juste et la moins contraignante pour lui : il s'en alla prévenir les autres.

Lorne déposa sa canne contre les pierres du rebords. Il n'était pas rare que des algues polluent l'eau du puits. Les rayons du soleil favorisaient le développement des organismes aquatiques et à cette période, les températures commençaient déjà à se radoucir. Il se pencha en avant, observant d'un œil attentif le fond du puits. Par dessus son épaule, Voss agitait une lampe torche. La couleur apoplectique, renvoyée par les réflexions lumineuses, consternaient le boiteux.

- On doit trouver une nouvelle source.

Il ne pouvait pas prendre le risque de consommer cette eau. Les enfants perdus s'écartèrent du puits empoisonné. Brögan trébucha alors qu'il reculait sans prendre garde où il mettait les pieds. Il tomba à la renverse. Son pantalon s'imprégnait de l'humidité environnante. Pourtant, les brins d'herbes caressaient les paumes de ses mains. La neige n'avait en aucun cas amorti sa chute. Le sol était dur comme de la pierre. Il rassembla ses mains devant lui et un sanglot lui échappa. Il se releva d'un geste brusque, mais ses semelles lisses glissèrent sur le parterre.

Un hurlement strident creva les tympans de Voss. Il dirigea sa lampe vers la position du rondouillard qui gisait entre ciel et terre, à moitié pelotonné sur un cadavre. Sous le choc, Lorne recula d'un pas. Voss, quant-à-lui ne bougea pas d'un pouce, ses iris noisette naviguaient à travers l'obscur parc. Le soleil couchant avait masqué le massacre qui avait eu lieu auparavant. La laine opalescente qui habillait les moutons avaient pris une teinte écarlate comme si les bêtes avaient revêtu une cape rouge. La chaleur qui se dégageait encore du corps de l'agneau se propageait dans l'atmosphère, jusqu'à réchauffer la peau du garçon.

L'Héritière Où les histoires vivent. Découvrez maintenant