Chapitre 19 - partie 2/3

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- Et bah ! Chuchota le garçonnet, on a eu ch-ATCHOUM !

D'un geste désespéré, Brögan barricada ses lèvres comme s'il venait de dire la pire des bêtises. Héléna se pétrifia directement, attendant la moindre réaction des ronfleurs poilus. Celui qui lui servait de coussin trembla légèrement. La truffe pourtant sèche, son souffle humide et chaud, frappa sa peau de part sa proximité.

Elle n'osait plus bouger, ni même respirer. Une boule se formait au creux de son estomac, en entendant les deux autres plantigrades grognonner dans leurs assoupissements.

Elle avait autrefois lu dans un livre que les chats rêvaient. Plongés dans un sommeil paradoxal, ils incorporaient des souvenirs d'événements passés dans leurs mémoires - exactement comme les Hommes. Est-ce que les ours pouvaient rêver, eux aussi ?

Son énorme patte, pourvue de griffes saillantes et aiguisées comme des lames de rasoir, pouvait la déchiqueter sans aucun soucis.

Tout à coup, sa paupière vibra. Elle jeta un œil à Lorne, y cherchant un quelconque soutient mais celui-ci se contenta de hausser les épaules. Les portes de l'enfer venaient de s'abattre dans les tunnels. Héléna blêmit, son visage déformé par la panique l'interpella. Il se reflétait à travers la pupille dilatée de cet ours, désormais pleinement conscient.

- Qu'est-ce qu'on fait maintenant ? couina-t-elle en se relevant d'un bond pour s'écarter prestement de la bête éveillée.

- Je ne vois qu'une solution à cet instant précis...

Héléna haussa un sourcil interrogateur. Une seule idée accaparait ses pensées. Elle espérait fortement que cette même idée germait dans l'esprit de son compatriote.

Les bêtes s'éveillaient.

Leurs longues griffes grattaient le sol lorsqu'ils se redressèrent sur leurs quatre pattes. Un des ours s'ébroua, s'étirant mûrement avant de dévoiler sa gueule pleine de dents d'un air menaçant.

- Courrez !

Pris de panique, ils détalèrent comme des lapins, avant d'avoir l'honneur d'entrapercevoir le fond de sa gorge.

Agressifs et grognons, les prédateurs grondaient de rages. Visiblement, être sorti si précocement de leur sommeil ne semblait pas les enchanter !

Qui le serait d'ailleurs ?

Leurs pas feutrés caressaient lourdement le sol, leurs respirations, courtes et roques, rebondissaient sur les murs recourbés. Enfouie dans les limbes lointaines et obscures, l'équipe de bras cassés - composée d'un éclopé, d'un petit gros, d'un grincheux, et d'une fugitive - s'enfonçait dans ce labyrinthe, talonnée par d'effrayantes créatures, ainsi bien sûr qu'une peur croissante.

Une foulée après l'autre, ils couraient à en perdre haleine. En tête de file, Lorne était soutenu d'un côté par son frère et de l'autre par Héléna. Il retenait un gémissement à chaque fois que sa jambe invalide touchait le sol. À mesure qu'ils progressaient, l'estropié tentait de trouver un rythme convenable.

À la traîne, Brögan était aussi rouge qu'une pivoine. Les ombres des animaux sauvages se dessinaient sur les murs en pierres, leur donnant une raison supplémentaire de ne pas arrêter cette course pour la survie avant qu'une certaine distance - plutôt grande de préférence - ce soit établie entre eux et les ours.

Est-ce qu'ils les dévoreraient ? Ou se contenteraient-ils uniquement du plaisir d'infliger la mort ?

Ils disparaîtraient sans laisser de traces, peut-être qu'un morceau de leur corps ; une main, un pied, voire une oreille réapparaîtrait après un temps sur la berge de la rivière. Les bêtes sanguinaires sèmeraient leurs membres, semblable aux cailloux du Petit Poucet.

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