Aux premiers temps du monde, les sept dieux d'Astara, touchés par la dévotion que leur témoignaient les Mortels, offrirent aux plus méritants d'entre eux une partie de leur pouvoir. Ainsi apparut la magie en Esperane. Elle fut nommée Saula.
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Un frisson parcourut son dos. Dans l'obscurité, son souffle saccadé emplissait tout l'espace, rebondissait sur d'invisibles parois, et lui renvoyait un écho oppressant. Les battements précipités de son cœur assiégeaient ses oreilles. Distordaient le temps. Le froid, la peur, nappaient sa peau de chair de poule. Al'Teryen Sorean, Onarque Noir de Shamaane, tremblait et claquait des dents comme un enfant perdu au cœur de la nuit. Seul, et presque nu. Par réflexe, sa main se porta à sa ceinture et se posa sur la poignée de son sabre. Un sourire ironique naquit sur ses lèvres. Il ne portait ni tunique, ni bottes, mais le Rêve l'avait doté de l'essentiel : son arme favorite et son pantalon de cuir. Lors d'occasions similaires, il avait souvent été moins bien servi.
Il ne savait pas où il se trouvait mais - pour autant qu'il pût se fier à ses sensations, la qualité de l'air, la température, l'humidité, suggéraient l'intérieur d'une grotte. Avec précaution, il avança d'un pas. De petits cailloux pointus s'enfoncèrent dans la plante de son pied. La douleur le fit chanceler, jurer entre ses dents serrées. « Mordieu ! ». Un sentiment réprobateur effleura sa nuque, révélant la présence de sa sœur, la Porteuse de Rêves. Néanmoins, son aura restait diffuse, lointaine. De toute évidence, le cauchemar dans lequel l'Onarque était englué ne provenait pas d'elle. Donc, il émanait de lui, de son propre pouvoir. Ce qui expliquait sa tenue, d'ailleurs ; sa cadette se serait peu souciée de ménager sa pudeur ou sa sécurité.
« Très bien, alors », lança-t-il d'une voix forte, pour défier le néant qui l'entourait. Comme il était le Rêveur, il devait réagir sans attendre, éviter de laisser l'initiative à sa saula. Sa magie montrait une déplorable tendance à forcer sur la mise en scène et, s'il n'avait pas la prétention de se croire capable de contrôler ses visions, il pouvait, au moins, tenter d'abréger le désagrément. Paupières closes, il se concentra, pensa à de la lumière, et une vague suffocante lui balaya le visage.
Quand il ouvrit les yeux, la première chose qu'il vit fut le feu. Une maison brûlait. Elle n'était pas si proche, mais l'incendie dégageait une chaleur intense. Des flammes vert-de-gris vrombissaient, rugissaient aux fenêtres brisées, et engloutissaient des pans de toiture qui s'effondraient en grondant, dans des gerbes d'étincelles à la teinte morbide. La lumière glauque du brasier dansait follement sur les parois de la caverne, s'écorchait sans ralentir sur les aspérités, laissant dans son sillage quelques lambeaux d'ombre semblables à des peaux mortes.
Pris entre les mâchoires voraces du monstre, le grand et riche manoir agonisait par soubresauts, en crachant un épouvantable fracas. Dans le vaste parc, fleurs et feuilles se ratatinaient alors que, près du puits et de l'étang, quelques silhouettes humaines observaient le désastre, les bras ballant d'impuissance, des seaux dérisoires abandonnés à leurs pieds.
Des relents étrangers, d'eau croupie et de rouille, se dégageaient de la scène. Une puanteur venue du passé, d'un homme disparu depuis longtemps. L'Onarque fronça le nez et les sourcils, et jura à nouveau. Cela n'aurait pas dû être. A la différence des rêves normaux, ceux que son pouvoir inspirait obéissaient à certaines règles et, selon l'une d'elles, un mort restait mort.
Un peu à l'écart des badauds, une jeune fille était étendue sur l'herbe, inconsciente, couverte de sang. Penché sur elle, un garçon pleurait et riait tout à la fois, d'un rire sinistre, désespéré. Personne ne leur accordait d'attention et si, parfois, un regard se perdait dans leur direction, il se détournait très vite. Trop vite. Al'Teryen en devinait aisément la raison.
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Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du Don
FantasíaAprès l'incendie de leur foyer, Kiryan et Hisana sont les derniers survivants de la Maison du Faucon. Au centre de toutes les convoitises, ils ne peuvent plus se fier à personne. Le Don qu'ils détiennent, leur héritage et leur position font d'eux...