Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du Don

Chap. 3 - Dans les mâchoires du Loup (Partie 2/6)

Cet homme est stupide, pensa Hisana, en voyant son oncle se redresser pour relever le défi, un sourire narquois au coin des lèvres. Il n'avait pas conscence de ce à quoi il s'exposait ; s'il continuait ainsi, il allait se faire tuer. Non que l'idée déplût à sa nièce, toutefois elle avait eu son compte de grillades pour quelques temps, et elle ne tenait pas à ce que son petit frère subisse le contrecoup de sa magie. Il souffrait déjà bien assez ainsi. Elle devait intervenir, elle le savait, mais elle était incapable de bouger, tétanisée par les terrifiantes vagues de pouvoir qui émanaient de lui et saturaient l'air d'électricité. Le regard insondable du garçon ne quittait pas sa proie.

Phelipan déroula son fouet et le fit claquer d'un simple geste du poignet. Son neveu ne cilla même pas. Le Loup fronça les sourcils. Il n'aimait pas, mais pas du tout, ce qu'il éprouvait en observant son petit trousse-pet de neveu. Il se défiait de cette obscurité, cette bête intérieure qui l'observait à travers les yeux morts du gamin, dont les prunelles vertes hypnotiques évoquaient à cet instant la putréfaction, la déliquescence des forêts marécageuses de la lointaine Trayane, sur le continent de Shamaane. Des pièges mortels, où chaque feuille cachait une traîtrise.

Le Loup ne pouvait se mentir, il avait peur. Néanmoins, sa fierté lui interdisait de reculer. Alors il gronda : « Ne viens pas te plaindre après, c'est toi qui m'y obliges ! ». Il étendit son bras en arrière et le ramena brusquement. La lanière de cuir siffla en s'abattant, mais n'atteignit pas sa cible. Elle s'arrêta à quelques pouces de la peau de Kiryan, retenue par une barrière invisible. Elle retomba mollement, recouverte d'une trace noire de brûlure.

Le Davana ne se laissa pas démonter, il eut même un petit hochement de tête admiratif. Dans un monde où la magie se révélait de moins en présente, et de moins en moins puissante, le petit Faucon montrait des ressources considérables et une maîtrise impressionnante, considérant le caractère versatile de sa spécialité. Peu de Vengeurs confirmés atteignaient un niveau suffisant pour se protéger de la sorte. Iram Farlis avait bien travaillé sur ce gosse, pour l'amener à un tel niveau de compétence à un âge aussi précoce. Une fois maté, il constituerait un atout indéniable. Mais il fallait tuer dans l'œuf son goût de la rébellion ; le Loup ne laisserait jamais un Jouvenceau mener la danse dans sa propre demeure. Certainement pas.

Il leva à nouveau son fouet et frappa, sans plus de résultat que la première fois. Il devait trouver la faille ou épuiser l'adversaire. Ce n'était qu'un gosse, qui devait bien avoir une limite ! Alors il recommença, frappa, frappa, frappa, plus fort, plus vite, à un rythme de plus en plus rapide. Rouge, le souffle court, il ensevelit son neveu sous une volée de coups. Aucun ne portait. Il eut beau y mettre toute sa puissance, toute son habileté : rien. Le sale marmot ne bougeait pas d'un pouce. Il restait là, enveloppé dans son cocon de foudre, à le fixer de son air dérangé. Qu'est-ce qui n'allait pas, chez lui, à la fin !?

La rage montait en Phelipan en vagues régulières et puissantes, le prenait aux tripes, pulsait dans son cou, derrière ses yeux. On ne le défiait pas ! Et surtout pas chez lui, sous son propre toit ! Il avança d'un demi-pas, entra dans le champ de pouvoir du garçon. Des milliers de piqûres l'assaillirent comme une nuée de guêpes en furie. Sa peau brûlait, mais il tint bon. Il allait donner à ce morveux une leçon dont il se souviendrait toute sa vie ! Abandonnant son arme, il leva le poing pour frapper. Tout son bras semblait s'être transformé une pierre de douleur, mais il refusait de lâcher ! Plus jamais ! Jamais il ne laisserait qui que ce soit l'emporter face à lui !

Dans son recoin, Hisana se dandinait d'un pied sur l'autre en observant la scène. Que pouvait-elle faire !? Même la simple idée de se montrer la liquéfiait de peur, mais il fallait qu'elle intervienne. Tout ça allait vraiment mal tourner ! Phelipan était peut-être Davana, et il était sûrement très fort pour espionner ou assassiner en toute discrétion, mais là, il s'agissait d'une confrontation face à face avec un adversaire dont la puissance augmentait de seconde en seconde. A quoi pensait le Loup, en s'exposant ainsi à la saula de Kiryan !? L'expression déjà effroyable de son visage s'aggravait d'instant en instant. Se contrôlait-il encore ? Que pensait-il faire avec cette méthode ? Et surtout, pour un prétendu maître dans l'art de l'assassinat, ne voyait-il donc rien !? Certes, il ne connaissait pas son neveu, et il ne distinguait pas les auras, mais il aurait dû s'en rendre compte ! Il tombait droit dans un piège !