Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du Don

Chap. 4 - Battements d'ailes (partie 1/5)

Esper, Principe d'Esprit et d'Energie, alloua aux mortels les deux tournures de son Être Divin. Les uns reçurent la saula de l'Energie, les autres celle de l'Esprit. Ces derniers n'en retirèrent pas que des bénéfices. On se méfiait les Rêveurs que l'on tenait pour des oiseaux de mauvais augure. Les Geôliers, capables d'emprisonner un homme dans son propre cerveau, durent batailler longtemps afin de convaincre qu'ils pouvaient aussi secourir et défendre. Ils tinrent leur retour en grâce de la peur qu'inspiraient à chacun les Traqueurs, giboyeurs de pensées, marionnettistes sournois, les plus inquiétants et incompris de tous les esperins.

Au seuil de la Troisième Chasse, tremblant face au spectre d'une nouvelle guerre, quand la précédente s'achevait à peine, ces nobles mêmes qui, jadis, considéraient les Geôliers comme des bêtes à enfermer, se mirent à les cajoler et les couvrir d'or en échange de leur protection. Car il est une règle incontournable que personne n'ignore : « Ce qu'un saulin a fait, seules sa volonté ou la mort peuvent le défaire.»

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Une douce lumière bleutée inondait la grotte. Ici, point de ressac, de courant, de fracas ou de créatures sous-marines. La surface de l'océan, aussi paisible qu'un lac, léchait avec délicatesse le sable fin d'une minuscule plage. Gelée, Hisana frissonna et nagea sans hâte jusqu'au rivage. Elle se traîna au sec, roula sur le flanc et s'allongea sur le dos, le souffle court. Son frère se laissa tomber à côté d'elle en grognant, harassé. Au-dessus d'eux, des milliers d'éclats de luminite [1] constellaient le dais minéral, dont le chatoiement céruléen évoquait le ciel d'une claire nuit d'hiver. D'un accord tacite, les deux Fauconneaux se laissèrent un temps de repos et d'admiration. Un calme parfait, irréel, régnait autour d'eux, sublimé par le discret clapotis de l'eau contre la roche.

Lorsque Kiryan entendit sa sœur claquer des dents, il tendit la main pour toucher ses doigts glacés. Elle se tourna vers lui, et il lui sourit. Un vrai sourire, comme elle n'en avait plus vu depuis longtemps, et qu'elle lui rendit presque timidement. Ils demeurèrent ainsi quelques instants, les yeux dans les yeux, puis le garçon se leva et l'invita d'un geste à en faire autant. Elle eut du mal à obéir, les membres lourds d'épuisement et engourdis. La tension de la poursuite retombée, ils se mouvaient avec lassitude. Ils s'aidèrent mutuellement à débarrasser leurs vêtements de deuil dégoulinants des gros paquets de sable collé par l'humidité.

La jeune fille grelottait. Elle se frotta les bras en inspectant le décor. L'eau sombre et scintillante ne lui permettait pas de distinguer le passage sous-marin par lequel ils étaient arrivés. En bordure de la petite langue sablonneuse, une muraille s'érigeait derrière eux et présentait un renflement vertical en son milieu, telle une balafre, sur toute sa hauteur. Ce fut par là que son frère l'entraîna par la main, et elle le suivit docilement. « Oh ! », lâcha-t-elle, surprise, en constatant que la protubérance dissimulait une faille étroite qui s'enfonçait sous l'Epine du Ver.

De part et d'autre de ce couloir, à distance régulière, des pierres de luminite jaune répandaient une clarté suffisante pour se repérer et remarquer, à bien y regarder, que ce boyau n'était peut-être pas si naturel que cela. On pouvait déceler dans la roche des traces assimilables à des coups de pioche. Au bout de quelques pas, le conduit s'incurvait à gauche et s'ouvrait sans prévenir sur une seconde caverne qui tira une nouvelle exclamation de surprise à la jeune fille.

Cette salle-là s'avérait beaucoup plus spectaculaire que la précédente ! La voûte, très élevée, recelait aussi d'innombrables éclats étincelants multicolores. Si la petite grotte de la plage diffusait une ambiance azurine reposante, ici, le mélange des couleurs produisait un rayonnement doré, doux et réconfortant. Et ce n'était pas la seule curiosité du lieu, découvrit Hisana en s'avançant d'un pas hésitant. Kiryan l'observait sans rien dire, amusé de sa réaction. Au demeurant, il y avait de quoi rester bouche bée !