Chap. 4 - Battements d'ailes (partie 4/5)

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Le 26 Primeronde de Verlune de l'an 1718, 246ème Cycle de Sash. A Oralon, province de Persa, Obenhane.

Le cheval gris descendait à petit pas les rues pentues et tortueuses d'Oralon. Ses sabots tantôt claquaient, tantôt glissaient sur le pavé. Mieux valait ne pas se presser, lorsqu'on entrait en ville par la route de Moyen-Benh, si l'on ne voulait pas terminer les quatre fers en l'air, au sens littéral de la chose. Surtout que la matinée touchait à sa fin, il y avait du monde qui allait et venait, des hommes et des femmes chargés, occupés, quelques charrettes, un convoi de cinq ou six mules... Ce n'était pas le moment de s'affaler sur la chaussée, au risque de blesser un passant et de se ridiculiser.

Le cavalier guidait donc l'animal avec précautions, malgré sa hâte de rentrer chez lui. La mission s'était éternisée. Les crétins envoyés par la Ligue afin, soi-disant, de le seconder, avaient essayé de le truander et, en définitive, il avait dû trimer comme un forçat pour contrebalancer leur nullité. Son affaire bouclée, il avait repris la route d'Oralon sans attendre et enfin, ce matin, à son réveil, la qualité du brouillard annonçait le retour du soleil, après deux jours de grisaille. Le jeune saulin s'était mis en route de bonne heure, nourrissant l'espoir d'arriver assez tôt pour s'offrir une sieste dans le jardin de la Maison du Serval, en profitant du bon air et des senteurs du printemps. Il ne détestait pas partir dans les terres, loin de là, cependant le climat particulier du Cirque Mortemain y rendait la saison incomparable ! Les arbres fleurissaient déjà et il faisait si doux ! A l'intérieur du continent, la nature s'éveillait à peine et il gelait encore, à l'aube. 

Quand la déclivité se fit moins forte, le jeune homme laissa sa monture se diriger toute seule. Elle connaissait le chemin, et elle aussi paraissait impatiente de revoir son écurie. Elle avançait d'un pas vif, peut-être dans le but de compenser la nonchalance de l'Humain qui la chevauchait. Ils traversèrent une placette, longèrent une nouvelle rue, et débouchèrent sur une autre, plus large, qui s'élevait progressivement vers l'ouest : l'avenue de la Corniche. Le mage sourit. Plus que quelques minutes...

« Messire ! Messire ! Messire d'Olivia ! Messire Abram d'Olivia ! » Abram n'eut qu'à poser la main sur les rênes pour arrêter son cheval. Un commissionnaire courait dans leur direction en agitant le bras. Il arborait la livrée noire à galons dorés de la Tour. « Messire, enfin je vous rattrape ! Je vous ai appelé plusieurs fois, mais vous ne m'entendiez pas !

— Peut-être que je ne voulais pas vous entendre, Riadic », répondit l'interpellé, un demi-sourire au coin des lèvres. « Pas plus que je n'ai envie de vous écouter. » Son interlocuteur ne lui fit même pas le plaisir de paraître gêné. Les larbins du Siège étaient tellement conscients de l'autorité de leur maître qu'ils en oubliaient de se montrer respectueux, même avec la plus haute noblesse de la province. Non que le jeune mage eût envie qu'on s'agenouillât à ses pieds mais, là tout de suite, ce type venait de gâcher ses beaux projets, et il lui en voulait. Car il eût été naïf de croire qu'on l'avait envoyé au-devant de lui juste pour lui souhaiter la bienvenue.

«Je vous demande pardon, Messire. On m'a dit de vous guetter, et de vous conduire à la Tour dès votre arrivée. Le seigneur d'Artemia souhaite s'entretenir avec vous», fit le bonhomme. Il affichait le teint pâle de ceux qui sortent rarement, et il était légèrement essoufflé. Ses pommettes un peu rougies indiquaient qu'il avait patienté en compagnie de quelques chopes de bière. Son interlocuteur retint un soupir ; il n'était pas très élégant de montrer son agacement, quand on recevait une telle convocation. Il mit pied à terre, par politesse. « Alors, allons-y.

— Votre mission s'est-elle déroulée selon vos vœux ?

— Je vous trouve décidément bien désagréable, aujourd'hui », lâcha aigrement Abram, ce qui eut pour résultat de faire enfin rougir l'assesseur qui marmonna des excuses, l'air au comble de la gêne, et décida que garder le silence constituait une option raisonnable.

Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du DonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant