Après être repassée par les cuisines, Hisana quitta sa cousine. Elle suivit la galerie jusqu'à la porte de son frère, toqua et déposa le plateau. « Kiryan, ton déjeuner. » Sans attendre de réponse, elle regagna sa chambre. Elle ne se sentait pas la force de se colleter avec l'inertie de son cadet. Lors de l'incident avec Phelipan, elle avait cru qu'il allait enfin réagir mais, pour finir, même s'il l'avait protégée à ce moment-là, il l'avait surtout profondément effrayée. Dans le fond, peut-être qu'elle devait se rendre à la raison. Peut-être qu'il ne restait rien de l'ancien Kiryan, et qu'il était temps pour elle d'apprendre à se détacher du nouveau, trop sombre, trop dangereux... Cette idée lui fit monter les larmes aux yeux. Jusqu'où allait-elle s'enfoncer dans le malheur et la solitude ? Cette chute dans l'obscurité s'achèverait-elle un jour ? Elle avait besoin d'une pause et du réconfort de sa foi.
Dans un des murs de la chambre était creusée une niche haute de cinq ou six pouces, en forme d'ogive. Y était placé un coffret de bois muni d'un tiroir que la jeune fille ouvrit. Elle y trouva le contenu traditionnel : une réserve de bougies et de bâtonnets, une petite cloche en cristal, sept étoffes de couleurs différentes et sept statuettes représentant chacune le symbole d'un dieu.
Elle choisit celle qui avait la forme d'un œuf, attribut de Lehal, ainsi que le voilage blanc à liseré argenté, qu'elle accrocha à de petits anneaux situés de part et d'autre du renfoncement. Dans le fond de ce dernier, on avait creusé un orifice destiné à la bougie. La jeune fille l'y plaça, puis se rendit auprès d'une lampe pour prélever une petite flamme à l'aide d'un bâtonnet. Elle la protégea de sa main pour la ramener jusqu'au cierge qu'elle alluma. Enfin, elle déposa l'effigie devant la flamme pour que celle-ci projette son ombre sur le rideau de tissu.
Son autel terminé, elle s'assit en tailleur sur le coussin prévu à cet effet, juste devant la niche, fit tinter trois fois la clochette et ferma les yeux. Elle prit une profonde inspiration et expira lentement à plusieurs reprises, afin d'apaiser son esprit et son corps. Elle devait faire le vide pour entrer en harmonie avec sa déesse. Peut-être alors retrouverait-elle un peu de sérénité ? Pendant plusieurs minutes, elle dut lutter contre elle-même, pour ne pas laisser le cours troublé de ses pensées la parasiter. Puis, enfin, très lentement, une fleur de calme naquit au fond de son être et commença à s'épanouir en corolle, à se répandre en elle dans toute sa blancheur et sa délicatesse. A présent, elle pouvait se laisser aller. La maison était silencieuse, et la jeune fille resta ainsi, dans cet endroit limpide et serein, hors du temps, de sa réalité cauchemardesque...
Plusieurs coups rapides frappés à sa porte cassèrent sa paix intérieure. Elle darda un regard accusateur sur le battant de bois, au moment où celui-ci s'ouvrait pour laisser entrer une petite femme replète.
L'étrangère parcourut la pièce des yeux, puis tomba enfin sur elle. « Ah ! Vous êtes là ! lança-t-elle d'un ton vigoureux. Eh bien, levez-vous, ma fille, nous n'avons pas toute la soirée ! Je dois également voir votre frère ! » Médusée, Hisana obéit, mais lorsque la femme lui indiqua d'un geste de balayette qu'elle devait se déplacer au centre de la pièce, elle fronça les sourcils et refusa de bouger. « Qui êtes-vous ?
— Guverne.
— Vous avez interrompu mes dévotions, Guverne. Et ça ne me dit pas qui vous êtes, ni la raison pour laquelle vous vous introduisez chez moi sans y avoir été invitée.
— Ah oui, désolée, désolée ! Mais je suis surprise que vous ne me connaissiez pas ! Je suis la couturière du Petit Palais ! C'est moi qui confectionne tous les costumes de Monseigneur, de Madame, et de leurs enfants ! C'est votre oncle Harim qui m'a priée de me déplacer jusqu'ici pour... renflouer votre garde-robe, ainsi que celle de votre frère » Eh bien, il ne fallait pas se gêner ! pensa Hisana, acerbe. Certes, Kiryan et elle avaient effectivement besoin de quelques vêtements, mais son oncle aurait pu convoquer n'importe quelle couturière de la cité. Pourquoi avait-il fallu qu'il choisisse la plus chère, celle qui s'occupait de la famille d'Allerougie !?
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Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du Don
FantasiAprès l'incendie de leur foyer, Kiryan et Hisana sont les derniers survivants de la Maison du Faucon. Au centre de toutes les convoitises, ils ne peuvent plus se fier à personne. Le Don qu'ils détiennent, leur héritage et leur position font d'eux...