Chap. 4 - Battements d'ailes (partie 2/5)

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Un gargouillis éveilla Hisana. Ses paupières gonflées réticentes s'ouvrirent lentement sur l'étrange décor de la caverne. Elle se retourna sur sa couchette. Son corps avait formé un nid dans les ballots de laine, et elle s'y renfonça, en tirant sur elle l'épais manteau de fourrure qui lui faisait office de courtepointe. Elle voulait savourer quelques instants de paresse assumée. Elle se sentait bien, au creux ce douillet cocon de chaleur et de silence, et elle se serait volontiers rendormie sans son estomac pénible, qui renouvelait ses borborygmes. Sa faim lui donnait la nausée. Et il fallait aussi qu'elle vide sa vessie. Dépitée par ces besoins terre-à-terre qui gâchaient son moment si parfait, elle se redressa, entre soupir et râle. Au premier geste, son cerveau cogna contre les parois de son crâne. Un bâillement se mua en hoquet et elle ferma la bouche en hâte, pas trop certaine de ce qui risquait de s'en échapper. D'un œil ensommeillé, elle inspecta les alentours. Le brasero de calorite chauffait assez pour maintenir une température agréable à une vingtaine de pas autour de lui, bien qu'à moitié couvert.

Sur une charmante table basse en marqueterie se trouvait une coupelle garnie de deux boules de brioche et un bocal de fruits d'été au sirop. La jeune fille examina ce dernier avec suspicion, en se demandant s'il datait de la même époque que le mobilier, puis elle se moqua de sa propre bêtise et attaqua son petit-déjeuner. Au milieu d'une bouchée, elle réalisa qu'elle devait avoir l'air d'un épouvantail, l'odeur d'un renard, et qu'elle n'avait pas dit ses prières du matin, pas plus, d'ailleurs, que les grâces du soir. Elle étudia durant quelques secondes l'idée de remédier à cet oubli et, en définitive, haussa les épaules ; Lehal n'avait pas daigné lui adresser le moindre signe quand elle l'implorait, au comble du désespoir, alors chacune son tour d'attendre en vain. Et oui, c'était puéril, mesquin, et surtout, hautement satisfaisant.

Où pouvait donc être Kiryan ? La pensée fugace qu'il ait pu l'abandonner traversa son esprit et s'évapora aussitôt. Il la savait incapable de repartir d'ici seule sans se noyer, et s'il avait voulu la tuer, il s'y serait pris d'une autre manière. Probablement. Elle termina rapidement son repas et se dirigea vers le couloir, à la recherche d'un endroit discret où satisfaire les exigences de la nature. A la sortie de la salle, elle découvrit une galerie qui s'enfonçait plus profondément sous l'Epine. Elle s'arrêta, hésitante. Aucune pierre de luminite n'éclairait le chemin, et la perspective de s'engager dans le noir ne la tentait pas vraiment, mais elle était pressée par la nécessité. Elle décida que cela conviendrait pour ce qu'elle devait faire. Elle s'avança de quelques pas seulement, afin de rester en lisière de la partie lumineuse.

Elle avait à peine terminé quand la silhouette de son frère apparut, venant de la plage. Il dégoulinait, et le sac vide jeté sur son épaule laissait une traînée humide derrière lui. Il sourit en passant devant sa sœur, et elle lui emboîta le pas. Tandis qu'elle s'installait à nouveau sur sa couchette - très confortable, vraiment - il posa son fardeau près de l'entrée et trotta jusqu'au brasero. Il était presque nu, vêtu seulement de petites braies en fine toile, et il grelottait. Il se sécha rapidement avec un gros chiffon, qu'il convertit ensuite en manique, afin d'attraper la bouilloire brûlante posée sur le couvercle du foyer. Il se servit une tasse d'infusion, en offrit une à la jeune fille, puis il se tourna et tendit son fessier vers la source de chaleur en se trémoussant de bonheur. On aurait presque pu l'entendre ronronner. « Vas-tu enfin me dire où nous sommes ? demanda Hisana, souriant de ses facéties.

— Je crois que c'est une ancienne cachette au trésor de l'Armada Fantôme.

— Des pirates ?

— Ouais. Il y a des parchemins, des cartes et d'autres trucs. Et quand j'ai découvert cet endroit, personne était venu depuis très longtemps. Y avait plein d'araignées et de poussière, et des rats morts aussi. Il m'a fallu du temps pour nettoyer un peu.

Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du DonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant