Chap. 1 - Peur et Désarroi (partie 2/3)

95 11 4
                                    

Quelques jours plus tôt.

Le 22 primeronde de Verlune de l'an 1718, 246ème Cycle de Sash. Sur le continent d'Obenhane, dans la province de Persa, en la cité d'Oralon.

Hisana leva la main pour frapper et s'immobilisa au dernier instant, le poing en l'air. Les lèvres pincées, elle resta plantée là, à regarder la porte close. Aborder Kiryan était devenu difficile, depuis le drame. L'idée de pénétrer dans sa chambre la mettait mal à l'aise, et elle n'était pas la seule à appréhender de se retrouver en sa présence. Les domestiques de la Maison du Grisemine tiraient une mine si angoissée, quand on leur demandait de faire son lit ou de lui apporter ses repas, que la jeune fille avait fini par les soulager de cette tâche. Elle se chargerait elle-même de tout ce qui concernait son cadet. Orphelins et sans logis, elle et son frère devaient déjà tant aux Caynal ! Elle ne tenait pas à les déranger plus que nécessaire. Et puis, les travaux ménagers lui apportaient une forme de sérénité. Dame Herminia avait protesté pour la forme, avant de la laisser agir comme elle le souhaitait.

Après avoir pris une profonde inspiration, elle bloqua son souffle, toqua et entra sans attendre de réponse. La douceur du crépuscule plongeait la pièce dans une pénombre parfumée de délicates senteurs florales. Quelque part au jardin, un oiseau invisible déclamait son ode au renouveau de la nature. Selon l'habitude prise depuis leur arrivée, le garçon se tenait à califourchon sur le rebord de la fenêtre ouverte. Il ne se retourna pas pour accueillir sa sœur. Son regard perdu au loin, sur les hauteurs de pierre blanche du Cirque Mortemain, il ne paraissait pas avoir remarqué le retour des beaux jours, ni la splendeur du paysage. Son esprit semblait toujours prisonnier de ce soir-là, une semaine plus tôt.

La jeune fille s'arrêta un instant sur le seuil pour l'observer, avec un mélange de chagrin et de désarroi. Tout avait commencé lors d'une belle journée telle que celle-ci, la première du printemps. Kiryan, benjamin de la Maison du Faucon, dernier des Promis au Don, célébrait son treizième anniversaire, celui qu'on nommait le Nubilis.

Treize ans était un âge charnière, où l'on quittait l'enfance pour devenir Jouvenceau ou Jouvencelle. Dans les foyers les plus modestes, cela signifiait qu'une bouche à nourrir se transformait en soutien de famille, ou quittait le nid et partait faire sa vie de son côté.

Parlant d'une lignée comme celle des Valk, une des Féales du Don, cela revêtait une toute autre dimension. En effet, même si aucune règle officielle n'était établie à ce sujet, l'usage voulait que la transmission du Don ne se fasse que lorsque tous les candidats étaient nubiles. A partir de là, n'importe quoi pouvait arriver.

Certaines Maisons préféraient laisser les Promis se débrouiller entre eux pour décider du successeur. Ce qui revenait à dire que tous les membres d'une fratrie s'écharpaient jusqu'à ce que le plus fort, ou la plus forte, emporte le morceau. Il valait mieux, en ce cas, que la nichée soit nombreuse, car on déplorait souvent des victimes. D'autres, au contraire, préféraient organiser une cérémonie de passation des pouvoirs. C'était alors généralement l'Elu détenteur du Don, le Davana, qui tranchait et choisissait lui-même qui serait le prochain. Il fixait ensuite une date, et la chose se déroulait la plupart du temps sans remous. Du moins, sans remous visibles, ce qui ne signifiait pas forcément que c'était plus propre. 

Ainsi, d'une manière ou d'une autre, l'issue demeurait la même, dans toute sa cruauté. Il n'existait qu'un moyen de transmettre le Don : l'un des Promis devait boire le sang de son parent Elu, pendant que ce dernier agonisait. Il fallait se montrer prudent, agir vite, car une fois la mort survenue, le Don s'éteignait avec son détenteur. Aucune ruse, aucune magie, ne permettait d'éviter d'en passer par là. Le Promis devenait alors Davana à son tour, et ses frères et sœurs étaient relégués au rang de Déchus. Ils n'auraient plus jamais leur chance, à moins que l'Elu ne puisse concevoir d'héritier. Et le Siège veillait à ce que ce ne soit jamais le cas.

Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du DonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant