Chap. 4 - Battements d'ailes (partie 3/5)

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Le 25 Primeronde de Verlune de l'an 1718, 246ème Cycle de Sash. A Oralon, province de Persa, Obehnane.

Le crépuscule cédait en douceur place à la nuit lorsque Phelipan de Terane franchit à cheval le portail de son domaine. Il engagea sa monture sur le chemin de gravier qui longeait sa maison, et l'arrêta à l'entrée de l'allée couverte menant à la cour intérieure. Daand, le jeune palefrenier, se hâta de prendre les rênes de sa jument. L'air effrayé du gamin indiqua au Loup qu'il affichait une mine pas commode.

Et pour cause. Depuis la fuite de son neveu et de sa nièce, la veille au soir, il n'avait pas fermé l'œil. Il avait consacré sa nuit précédente et toute sa journée à tenter de les retrouver, ne descendant de cheval que le temps grignoter un en-cas et boire. Il les avait cherchés partout, dans la garrigue, les vignes, sur les plages, le long des falaises de la côte est, et en ville. Impossible de mettre la main dessus. Et Harim n'avait pas eu plus de chance que lui, même avec les chiens. Il les avait pistés à travers le maquis puis plus rien, la meute tournait en rond, et plusieurs bêtes s'étaient blessées sur des pièges. Il ne s'était accordé que le temps de ramener les mâtins inutiles à la maison avant de repartir fouiller les recoins les plus sauvages des collines jusqu'aux limites du Cirque Mortemain. Cependant, il était peu probable qu'il trouve quoi ce fût d'intéressant : les deux fuyards s'étaient engagés dans la direction opposée, sur l'Epine du Ver, et s'y étaient évaporés. Comme si on pouvait disparaître à cet endroit !? C'était une impasse ! Ils ne s'étaient tout de même pas envolés, ces maudits Faucons ! De la mauvaise graine, ces deux-là, comme leur mère ! Surtout le garçon, un petit vicieux ! Et la fille, cette menteuse ! Elle les mettait dans un sacré embarras, avec ses tromperies !

Maintenant, par la faute de cette pécore, tous ses beaux plans d'avenir tombaient à l'eau. Qu'allait-il se passer, désormais ? L'opportunité offerte par la mort de son frère ne se représenterait pas ! Il refusait de la gâcher. Les enfants partis, il lui restait bien l'argent de l'héritage, mais pour combien de temps ? Le Siège n'avait pas mâché ses mots, et l'avait clairement menacé de bloquer les fonds, quand il avait fallu lui donner des explications sur la disparition des gamins. Il avait réussi à limiter les dégâts en expliquant que le garçon n'avait plus sa raison, et qu'il était devenu dangereux. Il avait promis de le retrouver rapidement. Il ne savait pas trop si on l'avait cru ou non.

Parigon l'avait prévenu qu'il diligentait une enquête, et qu'il allait probablement reprendre l'affaire depuis le moment de l'incendie. Il l'avait même pratiquement accusé d'être responsable de la mort de son frère et de sa belle-sœur ! Ce qu'il ne fallait pas entendre ! Il n'avait jamais compris Silvan, mais de là à vouloir le tuer, cela faisait quand même une différence ! Et puis, s'il avait été responsable de la transmission du Don du Faucon, il ne se serait pas laissé abuser par sa nièce. L'argument avait porté, néanmoins le Conseil ne se contenterait pas de cela. Tant qu'on ne retrouverait pas les fauconneaux, les Loups ne seraient pas tirés d'affaire ; ils auraient la Tour sur le dos pour encore un moment.

A ce sujet, d'ailleurs, Phelipan aurait quelques comptes à régler, quand il en trouverait le temps. S'il n'avait jamais eu l'intention d'ébruiter la perte de ses oisillons, une personne indélicate s'en était chargée à sa place. On l'avait dénoncé et il s'était retrouvé convoqué, à devoir se justifier ! Il ne savait pas encore à qui il le devait, et il ne comprenait même pas comment cela s'était su, mais quand il le découvrirait, quelqu'un allait passer un sale quart d'heure. Ça ! Les choses n'en resteraient pas là !

Mais pour le moment, il se sentait fatigué. Son dos lui faisait mal, et il voulait manger, prendre un bain et s'accorder deux ou trois heures de sommeil avant de repartir en chasse. Si toutefois il parvenait à s'endormir, dans son état d'énervement ! Il s'engagea d'un pas furieux dans la galerie, poussa brutalement la porte de la salle à manger qu'il traversa à grandes enjambées, et il se laissa tomber sur son siège, l'extrémité de la table vide. Deux couverts étaient mis, il en déduisit que son jumeau tardait lui aussi à revenir. « Louvette ! » beugla-t-il. Sa fille surgit aussitôt de la cuisine, en s'essuyant les mains sur son tablier. « Oui, Père ? »

Le Dieu Menteur - Tome 1 - Les Enfants du DonOù les histoires vivent. Découvrez maintenant