(Désir) ~ Is the Great Plan ineffable?

1.6K 101 75
                                    

Gabriel, les mains dans le dos, regardait par la fenêtre de son bureau. Il venait tout juste de terminer son rapport sur la Non-Apocalypse, sans oublier d'y inclure le jugement du traître Aziraphale qui fut lui aussi un échec, comme tout le reste. Et, après en avoir discuté avec son homologue d'En-Bas, il avait découvert que le jugement du démon Crowley avait été tout aussi catastrophique que celui d'Aziraphale.

Depuis ce fameux jugement, Gabriel avait souvent songé à l'amitié qu'entretenaient l'ange et le démon. Du moins, si c'était de l'amitié, ce qui n'était pas le cas, il le savait. D'ailleurs, depuis cet échec apocalyptique, il avait tout aussi souvent songé à son homologue démoniaque. Ce qu'il n'assumait en rien. Pourquoi songeait-il à lui ? Il le détestait, pourtant. Oui, il le détestait. C'était un démon, et, en tant qu'ange, il détestait les démons. Après tout, ils étaient des ennemis héréditaires, il ne pouvait que le détester.

Du moins, il essayait de s'en convaincre.

Beelzebub, affalé sur la chaise de son bureau, observait la pile de dossiers entassés. Il devait terminer son rapport sur la Non-Apocalypse – bien qu'il n'en ait ni le courage, ni l'envie – sans oublier d'y inclure le jugement du traître Crowley, qui fut lui aussi un échec, comme tout le reste. Après en avoir discuté avec son homologue d'En-Haut, il avait appris que le jugement de l'ange Aziraphale avait été tout aussi catastrophique que celui de Crowley.

Depuis ce fameux jugement, Beelzebub avait parfois songé à l'amitié qu'entretenaient le démon et l'ange. Du moins, si c'était de l'amitié, ce qui n'était pas le cas selon les dire d'un certain archange. D'ailleurs, depuis cet échec apocalyptique, il avait souvent songé à son homologue angélique. Ce qu'il n'assumait absolument pas. Pourquoi songeait-il à lui ? Il le détestait, pourtant. Oui, il le détestait. C'était un ange, et, en tant que démon, il détestait les anges. Après tout, ils étaient des ennemis héréditaires, il ne pouvait que le détester.

Du moins, il essayait de s'en convaincre.

Gabriel s'apprêtait, replaçant sa cravate mauve et passant une main dans ses cheveux bruns à tendance grisonnants. Ce soir, il devait rencontrer le Prince des Enfers afin de discuter de la vie post-non-apocalyptique. Il ne savait guère pourquoi, mais ce rendez-vous le stressait. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes de stresser pour un simple rendez-vous à caractère professionnel ; ce n'était d'ailleurs pas dans ses habitudes de stresser pour quoi que ce soit. Il ne comprenait pas. Il ne se comprenait pas.

Beelzebub était face à un miroir recouvert de crasse et dont les morceaux semblaient avoir été recollés maintes fois. Il observa son reflet d'un œil critique, replaça son col correctement et passa ses mains sur ses cheveux d'un noir de jais pour les aplatir. Ce soir, il devait rencontrer l'archange qu'il détestait tant. Il n'en savait guère la raison, mais ce rendez-vous le rendait presque enthousiaste. Il était enjoué à l'idée de rencontrer son grand ennemi. Ce n'était pourtant pas dans ses habitudes que d'être enjoué et, d'ordinaire il n'en avait cure de son apparence. Mais pas cette fois. Il ne comprenait plus. Il ne se comprenait plus.

Leur réunion – si l'on pouvait appeler cela une réunion – avait lieu aux alentours de vingt-trois heures dans le centre de Tadfield. Gabriel arriva avec une vingtaine de minutes d'avance, apparaissant dans un éclair blanc. Il s'assit sur le banc, lieu de leur rencontre, et attendit que son homologue ne daigne arriver. Il ne s'attendait pas à le voir apparaître avant au moins vingt-trois heures trente. Mais, à sa grande surprise, Beelzebub se présenta cinq minutes avant l'heure convenue.

« C'est bien la première fois que tu es en avance. »

« Oh, la ferme ! »

Beelzebub vint s'asseoir à la droite de l'archange. Ils restèrent un moment silencieux, puis Gabriel, se triturant nerveusement les mains, décida de prendre la parole.

« Alors, quoi de beau ? »

Le Prince des Enfers lui jeta un regard méprisant. S'il voulait entamer la converszzation, qu'il le fasse mieux que çzza, songea-t-il. Gabriel se maudit intérieurement d'avoir dit ça. C'était le pire début de conversation qu'il n'ait jamais eu. Il essaya de se rattraper.

« Excuse-moi, c'était complètement stupide comme question. »

« Çzza, je te le confirme. Bref. Ton rapport. Ton côté. Qu'est-ce que çzza donne ? »

Finalement, ce fut Beelzebub qui lança une véritable discussion. Ils parlèrent durant plus d'une heure, et s'attardèrent particulièrement sur le cas Crowley et Aziraphale, les traîtres. Et, aussi étonnant que cela puisse paraître, ils rirent. Le rire de Beelzebub n'était pas très mélodieux, mais Gabriel se surprit à penser qu'il le trouvait absolument adorable. Il sentit une vague de chaleur envahir ses joues et fut bien content qu'à cause – ou plutôt grâce – à l'obscurité, le Prince des Enfers ne puisse pas voir ses joues prendre une teinte rosacée. Ils se levèrent alors, leur conversation s'étant terminée, puis se firent face.

« À bientôt. »

« J'eszzpère que ce szzera dans longtemps. »

Soudain, une envie agrippa les entrailles de Gabriel. Non, pas une envie. Un désir. Il se pinça les lèvres. Ne pas succomber. Il ne devait pas. Il était un ange, un archange même. Il ne pouvait se permettre de s'abandonner à des futilités, il avait des responsabilités. Il ne voulait pas s'abaisser au niveau des humains, au niveau des deux traîtres. Mais rencontrer fréquemment le chef du camp opposé, bien que ce soit professionnellement, n'était-il pas un acte de traîtrise ? dit une petite voix à l'intérieur de sa tête. Bien sûr que non, songea Gabriel. Il aurait été un traître s'ils se rencontraient en secret, or ce n'était pas le cas.

Les deux êtres célestes continuèrent de s'observer en silence. Quelque chose, une sensation apparut dans le ventre de Beelzebub. Qu'est-czze que c'est que czze truc ? songea-t-il. Plus il observait l'archange, plus il avait une irrésistible envie de... Non. C'était ridicule.

Les pensées de Gabriel fusaient dans sa tête. Il devait faire le bon choix. Et le bon choix aurait été de partir. Maintenant. Une phrase lui revint alors en tête. « Is this the Ineffable Plan? » C'était la question qu'Aziraphale leur avait posé à la base aérienne de Tadfield. « That's the same thing! » avait répondu Gabriel. Il le pensait sincèrement, à ce moment-là. Il était persuadé que le Grand Plan et le Plan Ineffable étaient la même chose, et qu'il le connaissait. Mais maintenant, il n'en était plus vraiment convaincu. Si le Grand Plan était le Plan Ineffable, cela voudrait dire que, étant ineffable, par définition, personne ne pouvait le connaître, comme l'avait justement fait remarquer Crowley. Or, le Grand Plan, tout le monde connaissait ; donc, en toute logique, il ne pouvait donc pas être le Plan Ineffable. « Si le Plan Ineffable est, eh bien, ineffable, tout ce qui se produit en fait partie. » se dit Gabriel en fronçant imperceptiblement les sourcils. « Ce qui voudrait dire que, mes mots, mes actes, sont conduit par le Plan Ineffable... »

« NE T'APPROCHE PAS DE CZZE GRAND COUILLON ! » hurla une voix dans la tête de Beelzebub. Mais il n'en avait que faire de cette voix. Il avait envie de s'approcher, alors il le faisait. Et puis cette sensation au creux de son estomac... Cette sensation toute nouvelle le poussait à s'avancer vers son ennemi.

Gabriel remarqua alors qu'il s'était inconsciemment avancé vers Beelzebub. Et il semblait que lui aussi avait fait de même. « Si je... si je succombe à ce désir... cela fait-il partie du Plan Ineffable ? »

« Seigneur, pardonne-moi », souffla alors Gabriel.

Dans la seconde qui suivit, il avait posé ses lèvres sur celles de Beelzebub.

Le Prince des Enfers ne recula pas, ce qui surprit Gabriel, et lui-même fut étonné de son audace. Jamais il ne se serait pensé capable d'une telle chose. Beelzebub s'empara de la main gauche de Gabriel et exerça une légère pression sur celle-ci, tandis que son autre main allait courir dans les cheveux de l'archange.

Cet instant dura quelques secondes avant que leurs lèvres ne se séparent. Gabriel passa avec tendresse sa main libre sur la joue de son homologue démoniaque.

« Je ne t'aurais jamais cru capable de czze genre de choses. »

« Moi non plus. », avoua Gabriel.

« Çzza me plaît bien. »

Le Prince des Enfers esquissa un sourire et se mit sur la pointe des pieds afin d'embrasser de nouveau cet ange qu'il détestait tant.

OS sur Good OmensOù les histoires vivent. Découvrez maintenant