chapitre 3 (1ère partie)

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    Le troisième jour, mêmes allées et venues d'amis , de parents, de pauvres, d'inconnus. Le nom du défunt, populaire, a mobilisé une foule bourdonnante, accueillie dans ma maison dépouillée de tout ce qui peut être volé, de tout ce qui peut être détérioré. Des nattes de tous genres s'étalent de partout où elles trouvent place. Des chaises en fer, louées pour la circonstance, bleuissent au soleil.
  Et monte, réconfortante la lecture du Coran ; paroles divines, recommandations celestes, impressionnantes promesses de châtiment ou de delices, exhortations au bien, mise en garde contre le mal, exaltation de l'humilité, de la foi. Des frissons me parcourent. Mes larmes coulent et ma voix s'ajoute faiblement aux amen fervents qui mobilisent l'ardeur de la foule, à la chute de chaque verset.
  L'odeur du laax tiédit dans des calebasses, flotte, excitante. Et défilent aussi les grandes cuvettes de riz rouge ou blanc, cuisiné sur place ou dans les maisons avoisinantes. Dans des verres  en plastiques, on sert jus de fruits, eau et lait caillé glacés. Le groupe des hommes mange, silencieux. Peut être, ont-ils en mémoire le corps raide, ficelé, descendu par leurs soins dans un trou béant vite refermé.
  Chez les femmes, que de bruits : rires sonores, paroles hautes, tapes des mains, stridentes exclamations. Des amies, qui ne s'étaient vues depuis longtemps, s'étreignent bruyamment. Les unes parlent du dernier tissu paru sur le marché. On transmet les derniers potins. Et l'on s'esclaffe et l'on roule les yeux et l'on admire le boubou de sa voisine, sa façon originale de noircir ses mains et ses pieds au henné, en y traçant des figures géométriques.
  De temps en temps, une voix virile excédée met en garde, redéfinit le rassemblement : cérémonie pour la rédemption d'une âme. La voix est vite oubliée et le brouhaha revient , s'amplifiant.
  Le soir, vient la phase la plus déroutante de cette cérémonie du troisième jour. Plus de monde, d'avantage de bousculade pour mieux entendre. Des groupes se constituent par affinités, par liens de sang, par quartiers, par corporations. Chaque groupe exhibe sa participation aux frais. Jadis, cette aide se donnait en nature : mil, bétail, riz, farine, huile, sucre, lait. Aujourd'hui, elle s'exprime ostensiblement en billets de banque et personne ne veut donner moins que l'autre. Troublante extériorisation du sentiment extérieur inévaluable, évalué en francs ! Et je pense encore : combien de morts auraient pu survivre si, avant d'organiser leurs funérailles en festin, le parent ou l'ami avait acheté l'ordonnance salvatrice ou payé l'hospitalisation.
   Les recettes sont inscrites minutieusement. C'est une dette à payer dans des circonstances identiques. Les parents de Modou ouvrent un cahier. Dame belle-mère (de Modou,mère de Binetou) et sa fille ont un carnet. Fatim, ma petite sœur, i inscrit soigneusement la liste de mes entrées sur son bloc-notes.
  Issue d'une grande famille de cette ville, ayant des connaissances dans toutes les couches sociales, institutrice ayant des rapports aimables avec les parents d'élèves, accompagne de Modou depuis trente ans, je reçois les sommes les plus fortes et nombreuses enveloppes. L'intérêt que l'on me porte me grandit aux yeux d'autrui et c'est au tour de Dame belle-mère d'être courroucée. Nouvellement entrée dans la bourgeoisie citadine par le mariage de sa fille, elle récolte aussi des billets. Quant à son enfant, muette, hagarde, elle demeure étrangère au milieu qui l'environne.
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Une si longue lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant