chapitre 4

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  Aïssatou, mon amie, je t'ennuie, peut-être, à te relater ce que tu sais déjà.
  Je n'ai jamais été autant observé,  parce n'ayant jamais été autant concernée.
  La réunion  familiale, tenue dans mon salon, ce matin, est enfin terminée. Tu devines aisément les presents ; Dame belle-mère, son frère et sa fille Binetou encore amaigrie, le vieux Tamsir, frère de Modou et l'imam de la mosquée de son quartier, Mawdo bâ, ma fille et son mari Abdou. Le Miraas , ordonné par le Coran nécessite le dépouillement d'un individu mort de ses secrets les plus intimes. Il livre ainsi à autrui ce qui fut soigneusement dissimulé. Des découvertes expliquent crûment une conduite. Je mesure, avec effroi, l'ampleur de la trahison de Modou. L'abandon de sa première famille (mes enfants et moi) était conforme à un nouveau choix de vie. Il nous rejetait. Il orientait son avenir sans tenir compte de notre existence.
  Sa promotion au rang de conseiller technique au Ministère de la Fonction Publique, en échange de laquelle il avait endigué la révolte syndicale, disent les mauvaises langues, n'a rien pu contre la marée enlissante des dépenses ou il se debattait. Mort sans un sou d'économie. Des reconnaissances de dettes? Une pile : vendeurs de tissus et d'or, commerçants livreurs de denrées, bouchers, traites de voiture...
   Adosse-toi. Le clou du << dépouillement >> : la provenance de la villa SICAP, grand standing, quatre chambres à coucher, deux salles de bains rose et bleue,  vaste salon, appartement de trois pièces construit à ses frais au fond de la deuxième cour, pour Dame Belle-mère. Et des meubles de France pour sa nouvelle femme et des meubles d'ébénistes locaux pour Dame Belle-mère.
  Ce logement et son chic contenu ont été acquis grâce à un prêt bancaire consenti sur une hypothèque de la villa << Faaléen >> où j'habite. Cette villa, dont le titre foncier porte son nom, n'en est pas moins un bien commun acquis sur nos économies. Quelle audace dans l'escalade !
  Il continuait d'ailleurs à verser mensuellement à la SICAP soixante-quinze mille francs. Ces versements devaient durer une quinzaine d'années pour que la maison lui appartienne.
   Quatre millions empruntés avec facilité, vu sa situation privilégiée, et qui avaient permis d'envoyer Dame Belle-mère et son époux acquérir les titres de Hadja et de El Hadji à la Mecque; qui permettaient également les changements continuels << Alfa Roméo >> de Binetou, à la moindre bosse.
  Maintenant, je saisis l'horrible signification de l'abandon par Modou du compte bancaire qui nous était commun. Il voulait s'isoler financièrement pour avoir les coudées franches.
  Et puis, ayant tiré Binetou du circuit scolaire, il lui versait une allocation mensuelle de cinquante mille francs, comme un salaire dû. La petite très douée, voulait continuer ses études, passer son baccalauréat. Modou, malin, pour asseoir son règne, entendait la soustraire au monde critique et impitoyable des jeunes. Il asquiesça donc à toutes les conditions de la rapace << Dame Belle-mère >>, et avait signé un papier où il s'engageait à verser tous les mois ladite somme. Dame Belle-mère brandissait ce papier car elle croyait ferme que ces versements devaient continuer, même à la mort de Modou, sur l'héritage.
   Ma fille Daba, elle, brandissait un constat d'huissier daté du jour de la mort de son père qui indiquait tout le contenu de la villa SICAP.  La liste fournie par Dame Belle-mère et Binetou ne mentionnait pas certains objets et meubles, mystérieusement disparus ou frauduleusement soustraits. 
   Tu me connais excessivement sentimentale. Ce qu'on exhibait de part et d'autre ne me plaisait pas du tout...
   Je t'ai quittée hier en te laissent stupéfaite sans doute par mes révélations.
  Folie? Veuleurie?Amour irrésistible?
Quel bouleversement intérieur à égaré la conduite de Modou Fall pour épouser Binetou?

Une si longue lettreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant