become lady of gentle

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Vendredi 16 novembre
22 : 34

Il y a une certaine tradition qui s'est comme qui dirait installée chez les tchétchènes vivant en occident : celle d'accueillir les nouveaux. Je pense que ça se fait aussi chez les arabes, et géorgiens.

Fatima et moi, on ne voulait pas nous rendre chez nos voisins les mains vides alors elle avait sorti des petits biscuits qu'elle avait cuit le matin, et moi je m'étais dit qu'une petite tarte serait bien aussi.

Bref, les mains chargées, on était allée à deux pas de notre porte pour rejoindre celle de nos voisins. Fatima s'était super bien habillée, elle avait fait la totale, jupe, sweat, blouse, fard. Je ressemblais à une femme de ménage à côté d'elle avec ma robe de prière et mes sandales.

D'ailleurs, Fatima n'hésita pas à me le rappeler.

Fatima : C'est un trou qu'il y a dans ta chaussure là ?

Moi : Non, c'est Aslan qui a mis du feutre dessus, j'ai pas réussi à enlever.

Soudain, la porte s'ouvre sur un grand homme de taille immense, non j'abuse, mais je ne me souvenais pas qu'il était si grand que ça. C'était le cadet des fils Rassoul. Il nous fixa de longues secondes, et relooka ma sœur du regard, ce qui eut le don de l'agacer.

Rassoul nous prévient qu'il va chercher sa mère et nous fait rentrer. J'étais gênée au plus haut point.

Pendant qu'on enlève nos chaussures, leur maman arrive et commence à nous saluer.

Maman : Sur dik hul chu ! Mil you chun chinah Makka (laquelle d'entre vous est Makka ?) ?

Fatima (en me pointant du doigt) : Iz you.

Bref, trêve de bavardage, elle nous remercie pour les plats, et nous on lui espère que de belles choses dans cette nouvelle ville où elle et sa famille se sont installés.

Elle nous invite dans sa cuisine, et toutes les trois assises à table, on parle de tout et de rien. On évoque surtout le sujet du pourquoi ont-ils déménagé ici.

Je suis assez surprise d'apprendre qu'ils se sont déplacés pour leurs trois fils aînés : Khalid, Ahmad et Anzor. En fait, les trois se sont mariés et ont emménagé dans cette ville. Et la femme d'Ahmad l'ayant quitté, la mère qui s'appelle Hanifa n'a pas hésité à rejoindre son fils.

Ainsi, je compris que des cinq fils de Hanifa, seulement deux d'entre eux vivait avec elle : les deux plus jeunes, Rassoul et j'ai oublié le nom de l'autre.

Hanifa a aussi une fille. C'est la jumelle de Rassoul, elle s'appelle Rabia et je sais qu'elle fait de la boxe, mais qu'elle a dû arrêter. Elle est dans le même lycée que Amir et Farida, mais elle n'est pas dans leur classe.

Après avoir parlé de sa vie, Hanifa nous demanda comment nous nous étions retrouvés à vivre sans nos parents. Je ne voulais pas entrer dans les détails, et je n'aimais pas en parler non plus, heureusement pour moi, Fatima prit le relais.

Fatima : Nos parents sont morts il y a presque cinq ans. Le gouvernement voulait partager la garde des enfants entre tous nos oncles et tantes qui vivent ici, mais Makka avait dix neuf ans à l'époque.

Moi : Oui donc j'ai décidé d'être la tutrice légale de mes frères et sœurs pour ne pas qu'on nous sépare.

C'était étrange de vivre sans parents au début mais on s'y était habitué. Mon petit frère Aslan m'avait appelé maman une fois, et ça m'avait un peu bouleversé. Amir avait réussi à lui faire comprendre que je n'étais pas sa mère mais sa sœur et que maman n'était pas là.

Hanifa commenta quelque peu, elle nous questionna sur la gestion de l'appartement, nos finances, travails, et comment on gérait tout ça, puis elle arriva au sujet principal : pourquoi elle voulait que je vienne chez eux ?

Hanifa : Mon second fils, Ahmad, a divorcé de sa femme et ça fait déjà plusieurs mois que je lui cherche une femme qui pourra s'occuper de lui. Dès que j'ai su l'existence d'une petite fille s'occupant seule de tous ses frères et sœurs, j'ai su directement qu'elle était celle dont mon fils avait besoin.

Je compris à mon plus grand malheur, qu'elle me faisait des zalro (signifie de demander la main à une femme pour son fils). Je ne voulais pas répondre, j'avais peur que si je refuse, elle s'énerve ou essaie de me convaincre. Et je ne pouvais pas accepter. Si j'acceptais, ce serait comme si j'avais abandonné mes frères et sœurs, ce qui était inconcevable. J'avais déjà sacrifié un mariage pour eux, je n'hésiterais pas à en sacrifier un deuxième.

Moi (rire gêné) : Mais vous savez, si vous voulez vraiment une fille pour votre fils, il y a une famille qui habite à l'autre bout de la rue...

Hanifa fronça les sourcils en comprenant que je refusais indirectement.

Hanifa : Oui je sais, et j'ai vu leurs filles, elles ne me plaisent pas. C'est toi que je veux pour Ahmad. Je suis sûr que tu es parfaite pour lui.

Mais est-ce qu'il est parfait pour moi ?

J'aurais répondu ça si l'éducation de mon père avait été différente. Ce n'était pas bien de répondre à nos aînés, alors je me tus tout simplement.

Fatima : Tata, le problème c'est que ma sœur ne peut pas nous laisser.

Hanifa : Tu es là toi non ? Tu peux très bien t'en occuper. Makka n'est pas votre mère, elle n'est pas obligée de faire attention à vous toute sa vie. Elle doit pouvoir se marier elle aussi comme toutes les femmes de son âge. Elle a déjà sacrifié cinq ans, tu veux lui prendre toute sa vie ?

J'étais affreusement gênée. Je n'aimais pas du tout comment elle parlait à ma sœur, et j'avais peur que ma sœur ne réponde encore plus violemment que l'avait fait Hanifa, mais je vis dans les yeux de Fatima qu'elle ne savait même pas quoi dire.

Hanifa : Vous pensez que Makka doit vous élever jusqu'à votre mort ? Il faut bien qu'elle soit heureuse elle aussi.

Moi : Tata, je ne crois pas que ce soit le sujet, c'est juste que je ne me sens pas prête à me marier à un homme que je ne connais pas.

Hanifa : Ma fille, les relations hors-mariages sont interdites tu le sais. Il vaut mieux que tu apprennes à connaître ton mari pendant que vous êtes mariés.

Je ne savais même plus quoi répondre, parce qu'elle avait raison. Mais je ne voulais pas me marier à quelqu'un. Ni à son fils, ni à quelqu'un d'autre. Il était impossible pour moi de laisser tomber ma famille. Inconcevable que je les abandonne.

Soudain, alors que Hanifa allait encore me dire quelque chose, la porte de la cuisine s'ouvrit sur Ahmad. Je baissais la tête aussitôt en me levant, ma sœur m'imitant, tandis que tata faisait pareil en allant à la rencontre de son fils.

Hanifa : Tu veux que je te fasse à manger ?

Ahmad : Non, maman, je viens juste chercher les outils de papa.

Je sentis son regard m'épier et je crus brûler sous l'intensité de son regard. J'avais les joues qui chauffaient et elles étaient devenues toutes rouges.

Ahmad quitta la pièce en prenant ce dont il avait besoin.

Et bientôt, Fatima et moi rentrâmes chez nous, lorsqu'Hanifa eut terminé de m'énoncer tous les bénéfices de mon possible mariage avec son fils. Je lui avais dit que je réfléchirais, mais je connaissais ma réponse au fond de moi.

26.01.20

TCHETCHENE : MakkaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant