« Je ne me souviens de rien. Je ne me rappelle pas avoir eu mal. Ni même d'avoir eu peur. Tout ce que je revois, ce sont les yeux de Clint. Je l'entends au loin qui hurle mon nom. Mais rien n'a plus d'importance. Tout ce que je suis, tout ce que j'ai été, toutes mes pensées sont concentrées en un seul et unique point. Toi. Et puis, plus rien. Pas de paradis. Pas d'enfer. Du moins, pas à ce que je me souvienne. »
Allongé sur le dos, au milieu du silence de leur chambre d'hôtel, Steve écoutait Natasha se remémorer ses derniers instants. Chaque mot était pour lui comme un poignard en plein cœur mais il savait qu'elle avait besoin de tout lui raconter. D'évacuer cette douleur qui pouvait l'habiter. Couchée sur le côté, scotchée à lui comme elle savait si bien le faire, la tête au creux de son épaule et son odeur tout autour de lui, elle ne détachait pas son regard du sien alors qu'elle lui détaillait sa visite sur Vormir. Promenant nonchalamment sa main entre ses omoplates nues, caressant chaque grain de beauté et chaque tache de rousseur, Steve songea qu'elle pourrait parler ainsi pour l'éternité. Jamais il ne se fatiguerait du chant de sa voix. Jamais quitterait cette chambre. Jamais il ne la laisserait s'éloigner de lui.
« Et tout à coup, la lumière. Comme si rien ne s'était passé. Pas de douleur. Pas de mal. Qu'un lointain souvenir d'une chute qui a paru durer une éternité. La roche. Je suis assise sur le sol. Tout n'est qu'un rêve empli de brouillard. Puis un cercle lumineux. Ce magicien étrange qui vient pour me chercher. Doctor Strange. Puis la bataille. La guerre. La fin du monde. Et enfin, Thanos réduit en poussières. Tony... Puis tout le monde, réuni à nouveau. Clint. Ses yeux qui croisent mon regard. La culpabilité... J'ai vu dans ses yeux un sentiment que je ne lui connaissais pas. C'était pire encore qu'au Japon. Pire que de croiser le regard de Ronin. J'y ai vu... la honte. Et tellement, tellement de tristesse. Je n'ai pas pu faire autrement que de me jeter sur lui. Le serrer contre moi pour qu'il sache que je ne lui en voulais pas. Que rien de tout ça n'était de sa faute. Que ce choix, aussi terrible avait-il pu être, avait été le mien, et le mien uniquement. »
Clint avait offert de les héberger. Ils avaient, pour l'instant, décliné son offre. Ils avaient besoin de tout ceci. De ce rien du tout qui les entourait. Ils avaient besoin d'être ensemble, et rien de plus. D'oublier qui ils étaient. De redevenir simplement Steve et Natasha. Le complexe Avengers ayant été réduit en cendres, ils avaient dû trouver un endroit. Manhattan leur avait offert tout l'anonymat de la grande ville et ils étaient maintenant là, dans leur chambre d'hôtel bon marché qu'ils n'avaient pas quittée depuis la veille, à ne rien faire de plus qu'être tous les deux. La ferme des Barton serait encore là dans quelques jours. Et ensuite, peu leur importait où ils pouvaient aller. Du moment qu'ils étaient ensemble.
- Ça m'a paru si court, poursuivit Natasha. Presqu'instantané. Un moment, Clint était là, en haut de la falaise. Puis l'instant d'après, j'étais de retour ici. Comme si tout ce temps n'avait pas existé.
- Oh, il a existé. Crois-moi, il a bel et bien existé.
Il la sentit frissonner contre lui alors qu'il peinait à retenir ses larmes. Elle dut remarquer que ses yeux se noyaient car elle étira le cou et l'embrassa.
- Je suis désolée, Steve. Tellement désolée...
- J'ai compris, poursuivit-il sans jamais abandonner son regard. J'ai compris pourquoi Clint avait tout détruit. Pourquoi il avait saccagé sa maison. Pourquoi il était devenu Ronin.
Cette fois, ce fut elle qui sentit les larmes monter.
- Ne m'en veux pas, le supplia-t-elle. S'il te plaît, Steve...
- Jamais je ne pourrai t'en vouloir. Lui, par contre, j'ai songé à le tuer plus d'une fois.
Elle n'eut pas de réponse. Elle savait qu'il ne l'aurait jamais fait.
- Quand je l'ai vu, là, à notre retour, et que j'ai réalisé qu'il était seul... Quand j'ai compris, à ses larmes, que tu étais restée derrière...
Steve ne termina pas sa phrase. Natasha, emplie de larmes, se rapprocha au-delà du possible alors qu'il la serrait contre lui de toutes ses forces. Sa tête rousse enfouie au creux de son cou, elle ressentait chacun de ses sanglots comme s'ils avaient été les siens. Elle pleurait. Il pleurait. Tous les deux, là, dans cette chambre noire et silencieuse, vivaient une vie entière d'émotions en une nuit.
- Je ne sais pas comment j'aurais pu, Tasha... Comment j'aurais pu continuer à vivre, en sachant que tu n'étais plus là...
- Arrête, l'entendit-il répondre fermement au creux de sa poitrine. Ça ne sert à rien de revenir en arrière. Je suis là, maintenant.
Il crut que son cœur allait exploser lorsqu'il l'entendit ajouter : « Je suis là pour toujours. »
Il crut qu'il ne pourrait plus jamais dormir. Plus jamais il n'arriverait à fermer les yeux, à quitter son regard ne serait-ce que pour un simple instant. Il voulait dessiner des formes imaginaires sur le dos nu de Natasha Romanoff pour l'éternité, et même au-delà. Elle était partout à la fois. Ses longs cheveux bicolores couraient partout sur l'oreiller. Son odeur de cerise donnait l'impression d'envelopper toute la chambre. Sa voix résonnait en lui comme une messe solennelle. Il avait cru l'aimer, avant. Avait cru ne jamais pouvoir l'aimer davantage. Oh ! comme il s'était trompé ! Il avait maintenant l'impression que son amour pour elle était infini et pourtant, il savait pertinemment qu'il n'était rien en comparaison de l'amour qu'il pourrait ressentir pour elle demain. Ou le jour suivant. Ou le jour d'ensuite. Ses pensées lui échappèrent un bref instant et volèrent vers Tony. Il savait ce que Pepper pouvait ressentir. Il savait. Il l'avait ressenti, lui aussi. Mais lui avait eu la chance de serrer Natasha à nouveau dans ses bras. Ce ne serait malheureusement pas le cas de Pepper. Malgré tout le bonheur qu'il pouvait ressentir d'avoir retrouvé sa Tasha, d'avoir vaincu Thanos et d'avoir sauvé le monde, cette ombre demeurerait toujours. Tony était mort.
- On devrait offrir un coup d'main à Pepper, entendit-il soudainement Natasha murmurer comme si elle lisait dans ses pensées. Pour les funérailles. L'aider avec Morgan...
- Pas ce soir, se contenta-t-il de lui répondre. En ce moment, il n'y a que toi et moi qui existons au monde. Le reste de l'univers attendra encore une nuit.
Il la vit relever la tête vers lui et hausser les sourcils.
- Une nuit ? lui demanda-t-elle, sourire en coin. J'aurais cru que vous auriez davantage à offrir, Capitaine...
Il eut l'impression de sourire pour la première fois depuis qu'elle était partie. Non. Il ne devait pas penser à ça. Elle était là, elle était bien vivante, et elle était avec lui. Il se pencha et l'embrassa à nouveau. Il voulait fixer ce moment dans le temps. Le préserver pour toujours. Rien, non rien ne viendrait ce soir faire ombre a leur bonheur. Cette nuit faisait partie de ces moments d'éternité, de ces moments hors du temps à la fois si simples et si précieux, qui ne sont rattachés à aucune histoire, aucune anecdote. Ces moments qui n'existent que dans les mémoires de ceux qui les ont partagés et qui ne se fanent jamais. Qui continuent d'exister peu importe le temps qui passe, les rides qui s'additionnent et les souvenirs qui s'effacent.
Steve sut ce soir-là que cette nuit serait pour toujours l'image qu'il conserverait de Natasha Romanoff. Ils pouvaient bien vivre mille ans, pour lui elle serait toujours ainsi : épuisée, brumeuse, au sourire lointain, aux yeux verts insouciants, aux cheveux bicolores et au parfum de cerise, nue et scotchée contre lui, cherchant sa chaleur à travers la froideur des draps de ce petit hôtel minable de Manhattan. Et lui, heureux, empli d'amour pour elle et de reconnaissance envers cette vie qui leur avait, enfin, offert une chance.
* * * * *
Maiiiiiiiiis non, c'est pas fini. À moins que vous en ayez eu assez ?
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L'Après guerre [COMPLET !]
Fanfiction"Some people move on... but not us." L'univers a changé. Tout le monde a perdu. Et ceux qui restent se demandent encore si leurs vies ne se sont pas, elles aussi, envolées en poussières. Pour ceux qui ont lu mon histoire "L'entre guerres", eh bie...