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On lui affirmait toujours que le ridicule ne tuait pas, mais pour Rulia, à force de vivre de cette manière, elle avait fini par ne plus y croire. Bien sûr que le ridicule pouvait tuer. La preuve, elle se trouvait à cet instant précis au bord de la frontière séparant le monde des humains à celui des animaux sauvages. Et lorsqu'elle disait au bord, ce n'était pas au sens figuré.

Elle avait grimpé les escaliers de l'immense mur en béton et se trouvait au sommet de celui-ci. La hauteur démesurée lui donnait le tournis.

Parce que oui, elle avait le vertige.

Plantée entre deux mondes, elle eut conscience de sa petitesse.D'un côté, une vaste forêt d'arbres, obscure où la civilisation n'y avait pas sa place et dont l'orage nocturne n'améliorait pas son aspect terrifiant. Et de l'autre, une forêt de bâtiment disposés en parfaite symétrie où toute vie dénuée d'humanité n'y trouverait pas refuge, dont les points lumineux, même sous la pluie, ressemblait à un ciel étoilé.

À dire vrai, elle ignorait la raison qui l'avait poussé à fuir. Et pour finir, cet acte lui paraissait dérisoire. Futile. Comme tout ce qu'elle entreprenait. À croire qu'elle était vouée à ne jamais posséder ce qu'elle désirait.

D'après ses souvenirs cela remontait déjà à l'âge de ses cinq ans. Durant trois mois, elle avait supplié sa mère pour avoir un animal de compagnie. Et enfin lorsque sa mère avait cédé, ce petit oiseau n'avait survécu que trois jours. Et après ça, chaque décision qu'elle prenait n'était jamais la bonne. Elle entamait toujours le chemin le plus long tandis que les autres connaissaient le raccourcis par cœur et l'avaient déjà parcouru deux fois. Malgré la fatigue, elle n'avait jamais renoncé.

Sauf aujourd'hui.

Pour une raison qu'elle ignorait, elle avait supposé que cette fois-ci tout se serait passé différemment. Sa meilleure amie avait su la convaincre en étant sûr que cette histoire consoliderait leurs liens, qu'il s'agissait là du destin.

Mais elle n'était pas non plus idiote au point d'oublier que celui-ci demeurait capricieux et imprévisible.

Elle remit ses cheveux mouillés en arrière, inspira un bon coup et lorsqu'elle voulut hurler à l'étendue forestière hostile, un son bien différent de sa voix retenti. Interloquée, elle fit un demi-tour sur elle-même et écarquilla ses yeux verts.

Aussi trempé qu'elle, les prunelles bleues horrifiées de Sym, l'observait. Dos voûté, bras tendus en avant comme pour apaiser une situation critique. Sa parka recouvrait la totalité de son front et cachait sa tignasse blonde.

Elle s'était souvenue que la première fois qu'elle l'avait vue, elle avait trouvé sa beauté irréelle. Tout droit sortit d'un film. Et se fut pire lorsqu'elle eut rencontré sa femme. La splendeur qu'elle dégageait lui évoquait celle d'un ouragan. Fascinant, flanqué d'un caractère indomptable. Elle les avait tout les deux appréciés sur le moment. Même si c'était à sens unique.

Rulia, je t'en prie, parlons-en. Quoi que tu comptes faire, ce n'est pas la solution.

Hein ?

Le vent qui hurlait plus fort que la voix de Sym avait dissimulé une partie de la phrase et Rulia dût gonfler à bloc ses poumons pour propulser un son supérieur.

Qu'est-ce que tu as dit ?

Sym mit ses deux mains aux intersections de sa bouche pour faire écho.

Ne sautes pas !!

Ah, c'était donc de ça qu'elle avait l'air. D'une pauvre suicidaire.

Ce n'est pas mon intention ! hurla-t-elle en réponse.

Elle le vit se dresser comme un I, cligner à plusieurs reprises des paupières parla stupéfaction. Elle rit intérieurement avant de se retourner vers le paysage sauvage. Inspira et expira.

Non, elle ne voulait pas mourir. Jamais elle ne laisserait son mari à une autre. Même si elle savait que si un tel drame survenait, il la rejoindrait probablement.

Alors, que fais-tu ici ?

Rulia retint un sursaut, surprise de la proximité soudaine.

Après une éternité, elle ouvrit la bouche.

Tu sais, toi et Avelina, je vous ai apprécié à la minute où je vous ai vu.Et c'est sincère, dit-elle le regard au loin, j'avais dans l'espoir que vous m'approuviez, que vous me trouviez assez bien comme je suis.

Le silence dura un moment. Elle tourna la tête vers Sym et capta son regard.

Cela fait d'autant plus mal lorsque l'on ne se sent pas à la hauteur,elle baissa les yeux et se reporta à nouveau sur les cimes des centenaires.

On ne pense pas que tu n'es pas assez bien pour nous, lui répondit-il aussi bas qu'elle.

Et pourtant, ce que je suis ne suffit pas pour devenir votre enfant. Mon clone ne sera jamais à la hauteur de celui de Diane. Mais je ne vous en veux pas, après tout, vous la connaissez bien mieux que moi. Et l'inconnu à toujours demeuré effrayant.

CLONES - Tome 1 ( En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant