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On pourrait croire, qu'une dépression pouvait s'apparenter à un gouffre de cent vingt mètres dont les parois rocheuses ne fournissaient que des prises scabreuses, ou peut-être même tranchantes, pour vous hisser en-dehors.
 
Où l'air nauséabond retournait votre estomac comme une chaussette, vous forçant à retenir votre respiration sous peine de gerber. Et enfin, lorsque le ciel s'éclaircissait au-dessus de votre tête, et que l'espoir renaissait, vous tombiez pour vous obliger à recommencer votre ascension.
 
Eh bien non.
 
Le gouffre faisait au moins deux cent cinquante mètres de profondeur. Et en une semaine, Joahn l'avait escaladé trois fois.
 
Il avait effectué plus d'heures qu'il lui était permis de faire en une semaine, si bien que Cahl l'avait presque forcé à prendre trois jours de repos. Apparemment, il avait une tête de déterré et il semblerait que le sommeil ne serait pas du luxe pour être plus productif.
 
Sans blague.
 
Même si Cahl lui aurait accordé dix jours, cela n'aurait rien changé. L'insomnie n'était pas la cause de son état.
 
Du moins en majeure partie.
 
L'absence d'Essia s'était avéré aussi intolérable qu'il ne l'avait soupçonné.
 
Sa culpabilité l'avait pourchassé tout du long. Regrettant sa connerie de s'être encré ce tatouage. Mais à l'époque, il était jeune et... con.
 
Son attirance pour sa belle rousse remontait à ses vingt et un ans. Elle venait d’emménager à Cercia. Et bien qu'il la connaissait bien avant sont arrivée, la révélation fut de la découvrir en tant qu'adulte. Alors oui, un an plus tard il arborait discrètement un dessin de la chevelure de la fille qu'il kiffait.
 
Comment en était-il arrivé à ça ? Eh bien, il aurait bien voulu débattre sur le fait que l'alcool avait brouillé ses esprits, le forçant à perdre la maîtrise de ses faits et gestes... Malheureusement tout ceci avait été, le pensait-il, mûrement réfléchi quitte à passer pour un détraqué.
 
Putain, six années à l'imaginée dans ses bras. Ça faisait beaucoup.
 
Pas étonnant qu'il déglinguait.
 
Non pas qu'il n'ait eut aucune relation entre temps.
 
Non, non.
 
Ses tentatives pour passer à autre chose ne datait pas d'hier. Plusieurs filles avaient côtoyé ses draps.
 
Il repensa notamment à la pauvre Helna, sa plus longue relation. Incertain de l'amour qu'il lui avait apporté, il supposa que cela n'avait pas suffi car finalement au bout d'un an, peut-être moins, leur relation cahoteuse avait pris fin. Non sans larmes et sang versés. Surtout pour elle. Il ignorait si depuis, elle avait surmontée ses envie suicidaire.
 
Quelle plaie.
 
— Jo ?
 
La voix d'Haxel le fit sortir de son trou noir et chassa ses conneries avec un coup de pied au cul.
 
Il était affalé sur le sofa de son amie. L'appartement était constitué des mêmes pièces que le sien, décorées avec une bonne touche féminine. Les surfaces blanches reflétait les meubles aux couleurs sobres, un grand luminaire aux formes asymétriques pendait au plafond tout aussi blanc. En matière d'entretien ménager, Hax était une vraie maniaque. Totalement l'opposée d'Essia.
 
Pour ne pas revenir à ce sujet.
 
Minos en partie visible, offrait une vue vertigineuse et scintillante sur la ville. Les buildings résidentiels se collaient presque dans une sorte de course à celui qui brillerait le plus avant la tombée de la nuit bien que quelques gouttes commençait déjà à tomber. Haxel habitait dans l'un des immeubles les plus anciens, se trouvant le plus proche des Centres. Tandis que lui vivait plus à l'extrémité dans les bâtiments nouvelle-génération.
 
Oh fallait-il préciser qu'Essia habitait le même immeuble que son amie ?
 
Bref, Hax lui avait demandé expressément de venir, pour une raison ou pour une autre. Et comme étant le seul, il semblerait, à ne pas bosser et n'avoir rien d'autre à foutre, il avait accepté.
 
— Quoi ? tu m'as parlé ?
 
Haxel l'observa un instant avant de finir par s’asseoir à ses côtés.
 
— Je te demandais, si tu souhaitais manger un truc. Mais vu ton état, je crois que la réponse est non. Pas vrai ?
 
Juste.
 
— Non merci, ça ira. J'ai déjà mangé.
 
Menteur.
 
— Bon, écoute... Je ne veux pas me mêler de ce qui ne me regarde pas, mais pourrais-tu m'expliquer ce qu'il se passe à la fin ?
 
Joahn fronça les sourcils, se passa une main dans ses cheveux.
 
— Rien de spécial, tout va bien je t'assure.
 
Cette fois ce fut son amie qui fronça les sourcils.
 
— Je veux parler de toi et Essia. Est-ce que vous êtes ensemble ?
 
Il n'en fallut pas plus pour que Joahn s'étrangle avec sa propre salive. Dans une pluie de toux pour se reprendre, il aperçut une Hax souriante.
 
— Au fait, où est Xel ?
 
Pourquoi ne pas détourner la conversation ?
 
Le doux visage de son amie s’assombrit, ses cheveux blonds lui cachèrent ses prunelles vertes lorsqu'elle baissa la tête.
 
— Raconte-moi, qu'y a-t-il ?
 
Il attrapa ses épaules pour la soutenir analysant sa stature devenue trop frêle, sa robe noire dévoilait une maigreur affolante. Il souleva son visage pour qu'elle lui fasse face et y découvrit de l'anxiété. Ses joues creuses transformaient ce visage qui d'ordinaire respirait la joie de vivre.
 
Combien de temps encore devra-t-elle suivre ce régime alimentaire qui semblait lui faire plus de dégâts que de bien ?
 
— Allez, dis.
 
Le silence s'installa, Hax détourna les yeux puis sourit.
 
— Tu es doué, tu sais, pour dévier une conversation. J'attends toujours ta réponse, es-tu avec Ess ?
 
Joahn relâcha son amie, qui de toute évidence, l'équivalait dans ce jeu.
 
— On n'est pas ensemble.
 
Ce fut tout ce qu'il put prononcer parce que bon, qu'y avait-il d'autre à rajouter.
 
Étrangement, les yeux émeraude de son amie se mit à briller.
 
— Très bien, c'est tout ce que je voulais entendre.
 
Joahn eut un mouvement de recul, surprit.
 
— Que…
 
Il n'eut pas le temps de finir sa phrase que la porte d'entré retentit.
 
Tandis qu'elle se leva pour vérifier qui s'annonçait, Joahn s'affala de tout son long sur le canapé le bras sur les yeux.
 
Ce pourrait-il qu'Haxel soit…
 
Non, impossible.
 
Depuis le temps qu'ils se connaissaient, il aurait tout de même remarquer ce genre de détail. Intérieurement, il rit. Car finalement, est-ce qu'Essia avait soupçonné un seul instant les sentiments qu'il ressentait à son égard ? Nada. Alors...
 
Interrompant le fil de ses pensées absurdes, la présence qu'il détecta, fit accélérer la cadence de son rythme cardiaque.
 
Soulevant le bras pour libérer son champ de vision, après vérification, il comprit le pourquoi de cette réaction et reposa son bras à l'endroit où il se trouvait juste avant.
 
Bien sûr, évidement, quel idiot.
 
— Ess ? Ess ! Reviens !
 
Haxel avait crié pour la retenir, mais apparemment sans succès car il entendit le bruit d'un porte se refermée. Puis des pas se rapprochèrent de lui. Il sut que ce n'était pas Essia et conserva sa position tout en déviant son esprit de la femme qu'il aimait et qui en l'occurrence ne pouvait supporter sa présence.
 
— Laisse-moi deviner, à l'annonce de sa convocation, tu t'es décidé à lui déclaré ta flamme. Seulement elle t'a rejetée et vous vous évitez ?
 
Surprit, Joahn accorda un regard à Hax qui se tenait debout les bras croisés et le regard dur. Son expression interrogative la fit poursuivre.
 
— Oh arrête, tout le monde dans le groupe est au courant.
 
Kendal venait de signer son arrêt de mort, et puis, depuis combien de temps ses potes faisait semblant de ne pas savoir ?
 
— Je veux dire, tu es tellement protecteur, attention, je ne veux pas dire seulement avec elle, tu es un ami extraordinaire, tu es toujours là lorsque l'on a besoin de toi. Tu nous encourages toujours et ce malgré que toi-même tu rencontres des difficultés, nous passons toujours avant. Mais avec Essia, c'est différent la façon dont tu la protèges. Tu as beau avoir eut des relations, sérieuses ou non, je sais que tu n'as jamais cessé de l'aimer. Il faut être complètement stupide pour ne pas l'avoir remarqué. Ce qui m’amène au fait qu'Essia ne l'est pas, stupide je veux dire. Elle ne s'y connaît juste pas en sentiments, c'est pour ça qu'elle n'a jamais fait le lien.
 
— Qu'est-ce que ça change, de toute manière, les choses ont été dites et elle a été claire sur le fait qu'elle ne voulait pas de moi.
 
Autant ne pas jouer la carte du mec consterner que l'on pense une chose aussi fausse. Il était au fond du gouffre, et en dessous de ses pieds, ce sol rocheux était aussi matériel que le sofa sur lequel il était allongé. Il ne pouvait plus tomber, sauf s'il décidait de remonter.
 
— Cela change, qu'aux vues de ce que je viens de voir, elle est troublée, perdue. Cela n'a rien avoir avec le fait qu'elle ne t'aime pas. Bordel ! C'est d'Essia dont on parle, tu t'attendais à quoi ? Qu'elle te rampe aux pieds et te regarde tout à coup avec des yeux de merlan frit ? Si tu la veux, bas-toi ! Prouve-lui que tu es aussi obstiné qu'elle !
 
Waouh, c'était étonnant comme Haxel était douée. Elle avait raison sur toute la ligne. À vrai dire, dans son idéalisme, il avait effectivement imaginé que sa déclaration aurait eut un impact sur ce que ressentait Essia. Qu'elle se rendrait compte que malgré tous les hommes qu'elle fréquentait, il avait demeuré le seul.
 
Quel abruti !
 
S'il ne s'était pas noyé dans ses fantasmes de beau gentleman du dimanche, il ne se serait pas trouvé ici dans ce canapé à se faire réprimander comme un gosse. Non, il serait en train de se battre.
 
"Je ne suis pas un puceau en rut !"
 
Oui, il se souvenait qu'il avait lancé cette réplique pour se défendre. Et tout compte fait, durant cette semaine, même un puceau aurait mieux réagi.
 
Le cœur en trombe, la cage thoracique sur le point d'exploser, il bondit sur ses pieds et se dirigea vers Haxel pour la prendre dans ses bras.
 
Sans un mot, ils se comprirent et elle accepta ses remerciements sans broncher.
 
Plus tard, lorsqu'Essia sera à lui, il réglerait les problèmes de son amie. Il s'en fit la promesse. Quel que soit ce qui l’inquiétait en ce moment, il la tirerait de ce gouffre étouffant comme elle venait de le faire pour lui.

CLONES - Tome 1 ( En réécriture)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant