PLAYLIST
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Cette nuit-là, le sommeil ne vint pas. Merlin contempla les murs tachés de sa chambre et le balancement des bouquets d'herbes en train de sécher, les paupières lourdes et piquantes, refusant de céder à la résignation qui pulsait tristement contre son cœur. Au matin, tout reprit son court et il s'efforça de mettre derrière lui les propositions aberrantes de Gaius, d'ignorer son cœur brisé et la voix moqueuse en lui qui criait qu'il méritait son sort. Il retourna aux côtés d'Arthur comme si rien ne s'était passé et qu'il n'avait pas passé des heures à contempler l'idée d'être prisonnier à jamais de son secret.
Le soir venu, il chercha les papiers de la chanson qu'il avait commencée la veille, prêt à les déchirer ou les jeter au feu, mais ne les retrouva pas. Il abandonna ses fouilles après quelques minutes, tomba de fatigue et s'endormit à la seconde où sa tête toucha l'oreiller.
La chose lui était entièrement sortie de l'esprit lorsqu'il vint trouver Arthur le lendemain matin. Comme souvent, le roi était déjà levé et habillé, attablé à son bureau, plume en main. Merlin posa le déjeuner sur la table. Aucune réaction. Tiens. Curieux. Habituellement, la simple entrée de son valet suffisait à le tirer de ses papiers. Aux premiers pas de Merlin dans la pièce, Arthur était debout, ravi d'avoir une excuse pour s'extraire momentanément des devoirs royaux. Intrigué, Merlin se rapprocha. Les parchemins devaient être sacrément importants pour retenir ainsi l'attention du souverain... Peut-être étaient-ce des nouvelles de la patrouille ? De Keu et Bédièvre ? Ou bien une réponse de Mithian ? Si tôt, cela serait tout de même étonnant... Il se pencha, allongea le cou. L'écriture était sacrément brouillonne pour un document officiel. L'encre, complètement étalée à des endroits. Il y avait même un trou dans le cuir ! Quel genre de noble ne savait même pas se servir d'une boîte à sable ? Même Merlin avait maîtrisé la technique. Enfin, presque maîtrisé. À peu près. Il y avait encore des ratés. Quelque fois. Souvent. Qu'importe ! Ce n'était pas le sujet, bon sang. Qu'est-ce que c'était que ce machin ?
Arthur remarqua son petit manège et releva les yeux. Merlin oublia immédiatement son jeu. Le roi avait l'air secoué. Non, pas secoué. Il connaissait cette moue. Arthur était... ému ? Il était presque certain que ses yeux s'étaient embués. Minute. Pourquoi diable aurait-il été ému de lire des documents royaux ? Mais qu'est-ce que c'était que ce papier, à la fin ?
« Merlin ? quémanda le roi d'une voix étrangement douce, tournant le parchemin vers son serviteur. »
Sa première réaction fut la satisfaction d'avoir enfin accès à la page. Puis, il baissa les yeux. Et, enfin, reconnut le parchemin. C'était son écriture. Son brouillon, son esquisse de chanson, probablement glissée par inadvertance avec le reste de son discours.
« Ah.
— Tu m'expliques ? »
Merlin cligna des yeux plusieurs fois. Comment était-il censé expliquer ça ? Comment dire à son souverain qu'il était le héros de l'immense majorité de ses compositions ? Comment lui avouer que ces pattes de mouches n'étaient qu'un infime fragment de tout ce qu'il avait pu écrire depuis dix ans ? Mais quel crétin il faisait. Oublier un palimpseste dans une liasse. Gaius avait raison, c'était un miracle qu'il ne se soit pas déjà dénoncé par mégarde.
« Tu... écris ? Sur moi ? »
Merlin inspira profondément. Décida de jouer la carte de l'honnêteté.
« C'est une partition, Sire, avoua-t-il. Je compose de temps en temps.
— Tu composes de temps en temps.
— Rien d'extravagant hein, juste des petites ballades, des rondeaux, ce genre de trucs.
— Ce genre de trucs. »
Il ne put se retenir de pouffer.
« Bon sang mais il y a de l'écho ce matin !
— Eh, donne-moi un peu de crédit, rétorqua le roi, je découvre que mon valet incompétent passe ses soirées à écrire des chansons à ma gloire, j'ai droit à quelques minutes pour me faire à l'idée ! »
Arthur souriait, l'air infiniment ravi de sa petite découverte. Merlin roula des yeux. Il allait en entendre parler pendant des années.
« Ce ne sont pas que des chansons à votre gloire, espèce d'arrogante tête de louche, j'écris aussi sur Camelot, sur la Table Ronde, sur le royaume, sur d'autres choses que votre royal derrière ! Et franchement, vous avez de la chance que ce soit celle-ci que j'aie oubliée. C'est loin d'être la meilleure. Il faudrait que vous jetiez un œil à La Chausse Puante du Prince ou Le Roi Tête de Chou, vous verriez, ce sont des épopées formidables et là, vous auriez un vrai aperçu de mon génie. »
Arthur éclata de rire. Merlin se mordit les lèvres pour s'empêcher de sourire. Il allait perdre toute crédibilité s'il se joignait à l'hilarité du roi. Mais qu'il était dur de résister à l'allégresse qui enflait dans sa gorge, perlait sous ses joues et les tirait délicieusement. Qu'il était difficile de résister à l'image que renvoyait son souverain, sincèrement heureux et amusé, la tête tombée en arrière et une main posée sur son ventre. Et que n'aurait-il pas donné pour que cet instant ne s'arrête jamais.
« Par les dieux Merlin, tu m'en fais vraiment voir de toutes les couleurs.
— Encore un de mes nombreux talents. »
Le roi pouffa, se releva de sa chaise et quitta l'orbite de son bureau. Il attrapa le plateau d'argent posé sur la table, enfourna pain et fromage dans sa bouche, glissa une pomme dans la poche de son veston et se dirigea vers la porte.
« Avec la composition, a priori, glissa-t-il avec amusement. Allez viens, aujourd'hui c'est moi qui dirige l'entraînement et je suis d'humeur à te poursuivre avec un goupillon. »
Merlin roula à nouveau des yeux. Récupéra les restes du repas royal, vola discrètement le morceau de tomme qui avait échappé aux doigts d'Arthur, débarrassa un gambison échoué sur le dos d'une chaise et fit un rapide tour des appartements pour établir ses corvées de la journée. Alors qu'il pensait le roi déjà sorti, la voix de ce dernier s'éleva de la porte. Une main sur la poignée, il sourit à son serviteur.
« Et, Merlin... Si jamais tu la termines, cette chanson, j'aimerais bien l'écouter. »
Par chance, il fila aussitôt et ne vit pas les yeux de son valet s'agrandir et ses joues s'empourprer.
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Ô Merle Blanc
Fanfic[Merlin BBC, Arthur & Merlin] Lorsqu'il rouvrira les yeux, le feu giclera. La lumière tombera sur sa magie, ses mensonges, son terrible secret. Arthur saura. Et Merlin le perdra. (Pas en pause, je suis juste une tortue !)