Chapitre 4

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La foule

Samedi 01 Septembre : 19h15

Les moins bien placés distinguaient avec peine les silhouettes des porte-paroles. La carrure écrasante du plus grand, Sohan De Lyon. La chevelure ébène ramenée en une longue queue de cheval de Marianne de Toulouse, la benjamine. La démarche assurée et pleine de grâce d'Emma de Nantes déjà bien connue de la communauté de Paris. Et la silhouette banale du meneur de Caen, Noan Martys.

Ceux qui étaient arrivés à l'heure sans trop se presser pouvaient les contempler assez facilement. Le corps délicat de la brune, moulé par sa robe noire de dentelle au col montant. Le col du géant, accompagné par sa veste de costume aux épaules carrées. L'énorme Rolex circulaire au poignet de Noan de Caen, relique du passé miraculeusement sauvée. Les sourires rayonnants d'Emma adressés à son assemblée de supporters.

Les premiers rangs étaient composés des spectateurs les plus motivés, arrivés plusieurs heures en avance, et des personnalités les plus notables de la communauté de Paris qui s'étaient octroyées une place aux premières loges sans plus de préoccupations pour les autres. Eux, n'avaient qu'à tendre le bras pour toucher les attractions de la soirée, mais évidemment, l'idée ne leur traversa même pas l'esprit, ils étaient soit trop respectueux, soit trop distingués. Sous leurs regards curieux ou supérieurs se dévoilaient les plus petits détails, les plus petits secrets de chacun des invités d'honneur : la bague sertie d'un diamant à l'annulaire de la célèbre Dame de Nantes, l'iris gauche parsemé d'éclats d'or de la diplomate toulousaine - alors que son autre œil revêt un noir profond - les poings contractés d'agacement du meneur de Caen ou le visage inhumainement vide d'expression du colosse en tête du quatuor.

Le cortège finit par arriver au centre de la Coupole d'Été, là où les dernières lueurs du jour, traversant le dôme de verre, mouraient dans des éclats rougeoyants et ensanglantaient les peaux et les habits d'une foule émerveillée.

Lorsque le Président de Paris se redressa pour parler, les frottements des étoffes luxueuses, les claquements des talons des dames sur le carrelage noir et blanc, les conversations animées entre deux gorgées de champagne et le bourdonnement apaisant des libellules de métal cessèrent comme une seule entité.

Il leva sa flûte, immédiatement imité par son public.

« Portons un toast à nos invités... A Sohan de Lyon... »

Président Korning désigna le titan à ses côtés, qui hocha la tête en signe de remerciement, sans même changer de faciès.

« A notre charmante Emma de Nantes, ou Emma Bailli comme vous la connaissez. »

L'intéressée avança d'un pas, remercia le Président et lança un sourire bienveillant à l'assemblée.

« A la bien jeune et bien ravissante Marianne de Toulouse. »

La jeune femme inclina un peu son verre en direction du Président et ses lèvres rouges s'étirèrent en un léger sourire.

« Et enfin, à mon vieil ami qui n'en est pas moins cher, Noan Martys, gouverneur de la communauté de Caen. »

Celui-ci lui serra la main trop rapidement pour que quiconque croit à leur complicité.

Mais, peu importait à la foule d'avoir devant elle un être tellement antipathique qu'il en devenait inhumain, peu lui importait qu'on l'appâte avec une célébrité ou de savoir le nom quand elle pouvait juger le corps, peu importait même à la foule qu'on lui mente.

Peu importait.

La seule chose qui éveillait l'intérêt de la foule, c'était le spectacle. Et là, elle en avait un de beau, de spectacle, la foule.

Nous sommes tous des traîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant