Chapitre 29

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Emma Bailli

Jeudi 13 Septembre : 20h50

Le Président venait de donner la parole à Emma.

Pour une fois dans sa vie, le courage lui manquait. Elle n'était pas prête à révéler jusqu'où elle avait été pour obtenir les fameuses terres. Elle n'était pas prête à être ridiculisée devant la France entière pour l'unique plaisir d'un dictateur sadique. Pour une fois dans sa vie, elle se sentait désarmée, impuissante.

Elle se tourna vers l'assemblée qui lui jeta à peine un coup d'œil lassé, préférant contempler les moindres faits et gestes de Marianne.

Peut-être que Sohan et Noan, envoûtés comme ils l'étaient par la jeune femme, ne s'en rendait pas compte mais Emma, si. Et elle n'allait pas discourir comme eux, en palabrant, en ennuyant. Elle allait les détourner, ces regards. Elle allait les reporter sur elle. Avec sa fierté pour seul moteur, elle commença :

« Je pense qu'il est inutile de vous souhaiter bonsoir pour la quatrième fois de la soirée. Alors je vais directement passer au vif du sujet. »

Pas même une pauvre réaction. Pitoyable.

Elle s'accrocha à son pupitre. Sa bouteille d'eau tangua mais resta en place.

Fort bien, puisque ce qu'elle disait n'importait plus à personne, elle ne tenterait pas de mentir ou de trouver un habile raccourci pour les berner. Elle allait leur lancer la crue vérité à la face et peut-être que celle-ci aurait enfin le pouvoir de les faire réagir.

« Je pense que certains d'entre vous auront remarqué cette bague. Et peut-être que certains en sont même arrivés à la spéculation qu'elle représentait un engagement de fiançailles. Eh bien, à cette hypothèse, je dis oui ! »

Ah ! Enfin on la regardait.

« Mais finalement, quel rapport cela a-t-il avec la Nouvelle Répartition des Terres Françaises ? Pourquoi je vous le révèle ce soir ? C'est très simple. Je vais me marier avec Pedro Rodriguez, un diplomate espagnol. »

Un murmure d'horreur parcourut la pièce. Emma entendait déjà les remarques qui n'avaient même pas encore été objectées.

« Nantes a brisé la réclusion française. Nous avons pour projet de reprendre le commerce entre la communauté de Nantes et l'Espagne. Voilà ce que j'ai proposé à la communauté de Paris, voilà ce que j'ai proposé à votre Président en échange de ces terres. J'ai proposé de partager cette voie de commerce et à nouveau de s'ouvrir au monde. J'ai proposé les alliés, les traités, les amitiés à nouveau. »

Le brouhaha mécontent de la foule se faisait de plus en plus fort. On entendait des insultes et des menaces. On regardait Emma avec une haine qu'elle n'aurait jamais cru pouvoir inspirer.

« Ne croyez pas que votre Président était contre s'écria-t-elle dans son micro avec l'énergie du désespoir, il a accepté ! Il m'a donnée des terres en échange et... »

Mais personne ne l'écoutait. En plus de briser la seule règle commune à toutes les communautés françaises, elle calomniait un de ses plus grands chefs.

Le Président riait. Il avait ce qu'il voulait : la coopération de Lyon, la soumission de Caen et le ridicule de Nantes. Que demander de plus ?

Un petit bruit dans le fond sonore se fit entendre, retransmit par les enceintes de chaque côté du plateau. Assez régulier et d'une fermeté qui finit par attirer l'attention de l'assemblée.

Marianne tapotait du doigt sur son micro, un air serein sur le visage.

La marée sonore baissa peu à peu.

Tout le monde, à part elle, avait disparu.

Nous sommes tous des traîtresOù les histoires vivent. Découvrez maintenant