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Chapitre 1.

     JE MARCHE SOUS LA PLUIE. Mes jolies bottes jaunes aux pieds, je bondis de flaque d'eau en flaque d'eau, sous les réprimandes de ma mère. À côté de moi, un petit garçon évite avec précaution de se mouiller, grimaçant chaque fois que j'ai le malheur de l'éclabousser. Il doit avoir cinq ou six ans, nous faisons la même taille. Ses singuliers cheveux rouges et blancs cachent ses yeux vairons qui m'observent avec une certaine curiosité mal dissimulée.

Soudain, je suis comme éloigné de cette vision, arraché de force à cette douce illusion. Je peine à ouvrir les yeux, aveuglé par la lumière du soleil déjà haut dans le ciel. Je mets ma main devant mon visage, tentant vainement de m'habituer à cette lueur agressive.

— Bien dormi ? me demande une voix taquine que je ne connais que trop bien.

Je souris. Mes yeux n'ont désormais plus de mal à distinguer le paysage qui m'entoure. Je suis allongé dans l'herbe, dans le parc à côté du lycée. J'entends l'eau du ruisseau s'écouler quelques mètres plus loin. Je tourne la tête vers Ochako qui me sourit avec espièglerie. À ses côtés, Tenya relit le dernier cours d'anglais.

— Ça fait combien de temps que je me suis assoupi ?

— Un peu moins d'une heure. La facilité avec laquelle tu peux t'endormir m'étonnera toujours, me répond-elle.

Je frotte ma nuque en riant nerveusement, ne trouvant rien d'autre à faire. Je préfère retourner dans mes pensées, et tenter de me souvenir de ce rêve qui me laisse une étrange impression de déjà-vu. 

J'ai déjà vécu cette scène auparavant. Il y a longtemps. Je me souviens que je jouais beaucoup avec le fils de mes voisins, lorsque j'étais encore à école primaire. Il s'appelait Shoto, Shoto Todoroki. J'aimais beaucoup ses yeux, à la fois splendide et terrifiant, et extraordinairement désabusé pour son âge. Il avait presque un regard d'adulte, comme si rien ne pouvait le surprendre, comme si rien ne pouvait l'atteindre. Il m'intriguait autant qu'il  m'attirait.

Ma mère m'a raconté un jour que j'avais eu du mal à l'aborder en maternelle, tant il paraissait hors de portée. Il était toujours dans son coin, esseulé, et regardait les autres enfants avec indifférence, comme s'il ne faisait pas parti du même monde. En fait, il semblait totalement différent de nous, mômes naïfs et inconscients. C'est sans doute pourquoi personne ne désirait s'en faire un ami.

Sauf moi. J'ai toujours été avide de singularité. En un sens, je devais être, tout comme lui, un peu différent des autres.

C'est étrange que je me souvienne de ça maintenant. Nous avons été les meilleurs amis du monde pendant presque sept ans, avant qu'il ne déménage inopinément sans me laisser une explication. Je n'ai plus jamais eu de nouvelle de lui. Ça m'avait fait un choc, à l'époque. J'ai passé une nuit entière à pleurer son absence, ne comprenant pas pourquoi il avait soudainement disparu, pourquoi il nous fallait être séparés.

Avec le temps, j'ai fini par m'y faire, j'ai fini par l'oublier. J'ai encore quelques bribes de souvenir qui réapparaissent de temps à autre, surtout du temps où nous étions à l'école primaire — je ne me rappelle pas beaucoup de la maternelle, je devais être trop petit. Aujourd'hui, rien n'a changé, je ne l'ai toujours pas revu, et nous n'avons jamais repris contact. Même si ce n'est pas faute d'avoir essayé.

— Tu penses à quoi Deku ? me demande Ochako. T'as l'air dans la lune depuis tout à l'heure. Enfin, plus que d'habitude quoi.

— Hm... C'estunpeubizarremaisj'aides
souvenirsd'unanciencommentdireamiquiviennedemereveniralorsqueçafaitdesannéesquejenel'aipasvujenesaispassiçasignifiequelquechose...

— J'ai rien compris, ralentis le rythme ! Tu marmonnes encore ! Si Katsuki était là, il t'aurait sûrement traité de maudit nerd !

Je souris à l'évocation de Kacchan. C'est un ami d'enfance, comme Shoto, à la différence que lui et moi étions loin d'être proches et inséparables. Il me détestait pour une raison assez floue à laquelle il n'a jamais daigné me donner la moindre explication. C'était un gosse turbulent et grande gueule, et les années ont eu beau passer, elles n'ont jamais pu corriger son sale caractère.

Ma mère et la sienne sont très amies, nous étions donc souvent amenés à jouer ensemble malgré nous. Sa famille est d'origine japonaise, c'est pourquoi sa mère l'appelait Kacchan, le "chan" représentant une marque affectueuse. J'ai donc pris l'habitude de le nommer de la même manière, inconsciemment. Mais il n'affectionnait pas et n'affectionne toujours pas ce surnom, et à donc trouvé judicieux de me traiter de nerd et de Deku — bon à rien en japonais — pour se venger. Ochako a d'ailleurs adopté également ce surnom, mais ce n'est pas pour se moquer, plutôt pour donner une connotation plus chaleureuse à ce nom péjoratif.

Nous avons donc grandi ensemble, et même si nous nous adressons aujourd'hui très peu la parole — les échanges avec Kacchan se limitant à "maudit nerd" "Deku de merde" "crève" et "bouge de là" — nous restons tout de même assez proches. Enfin, tout est relatif. Quand je dis proche, je veux surtout dire que nous nous connaissons bien, malgré les apparences.

— Ah désolé, m'excusé-je, il faudrait vraiment que je perde cette vieille habitude... Je disais que je viens de me souvenir de quelqu'un, avec qui j'étais ami il y a très longtemps.

— Je vois... Il s'appelle comment ? Il était beau gosse ? Pourquoi vous n'êtes plus amis ?!

Je ne peux empêcher un petit rire de passer la barrière de mes lèvres, surpris par tant d'enthousiasme.

— Il s'appelle Shoto, je crois que je le trouvais craquant donc je pense qu'il était beau gosse, mais il a déménagé et je n'ai plus jamais eu de nouvelle, dis-je en répondant simultanément à ses trois questions.

— Oh, je suis désolée pour toi...

— T'inquiète, c'est de l'histoire ancienne. Dîtes, vous avez l'heure ? Il me semble qu'on a bientôt cours d'histoire, non ?

— Ah oui, tu as raison ! Attends, je regarde... me répond-elle en sortant son téléphone. Oh merde ça fait deux minutes que le cours a commencé, bougez-vous !

— Quoi ?! s'étrangle Tenya dont les mains viennent de se crisper sur son cahier. Mais tu étais censée surveiller l'heure !

— Oups ! dit-elle avec innocence.

— Arrêtez de vous disputer et dépêchez-vous de courir !

Remettant précipitamment mon sac sur mes épaules, je tends ma main à Tenya et Ochako pour les aider à se relever, un grand sourire amusé aux lèvres. Acceptant mon bras à la hâte, ils s'empressent de ramasser leurs affaires avant de se mettre à courir avec moi, en direction du lycée.

— Dis-moi, Izuku... m'interpelle Ochako, déjà essoufflée. Tu crois que... Tu vas le revoir... Ce Shoto ? Imagine que ce rêve... Enfin ce souvenir... Soit prémonitoire !

— Bof... Tu sais, ça date d'il y a longtemps, aujourd'hui, l'idée de le revoir ne me fait ni chaud ni froid.

Je mens. Mais de toute façon, il n'a pas donné signe de vie pendant plus de cinq ans, ce n'est pas comme si ça allait changer du jour au lendemain...

Nos souvenirs évanescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant