XI

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Chapitre 11.

     KACCHAN ME FIXE AVEC SON habituel regard noir. La mâchoire crispée et les poings serrés, il semble attendre ma réaction. Je fronce les sourcils en remarquant une trace rougeâtre au niveau de sa joue gauche. Il s'est encore battu ? Remarque, ça ne m'étonne pas de lui.

Je me demande ce qu'il a de si important à me dire... En tout cas, ça ne sera sans doute pas très agréable à entendre. Il ne s'exprime qu'en criant sur les gens, alors évidemment, discuter avec lui est souvent déplaisant. Mais je m'y suis fait, avec le temps.

Et je sais aussi qu'il a su se trouver des amis fiables, en dépit de son caractère de cochon. Je ne sais pas comment ils font pour le supporter gueuler toute la journée — j'ignore moi-même par quel moyen je peux réaliser une telle prouesse.

— Un problème Kacchan ?

Notre relation a toujours été ambiguë. Notre entourage se demande souvent si nous sommes réellement amis, vu la façon dont il me parle. Je leur réponds alors que oui, contrairement aux apparences. Nous nous connaissons depuis l'enfance, et nous avons beau être opposés, il n'empêche que c'est souvent vers lui que je me tourne pour lui parler d'un soucis, et vice-versa. Même s'il a beaucoup plus de mal que moi à admettre que l'on est amis et que ses confidences sont plus rares que les miennes.

Mais ce n'est pas commun qu'il vienne m'adresser la parole en public. Alors ce qu'il a à dire est sans doute important.

Il fait un geste de la tête vers la porte, signe qu'il faut que je le suive. Tenya, qui vient de finir de ranger ses affaires, ne pose pas de question et s'en va, habitué aux états d'âmes de Kacchan. Quant à moi, je ne cherche pas à en savoir davantage non plus, et le suis docilement à travers les couloirs. Au moins, ça me permettra de survivre à la pause sans avoir à blesser Ochaco.

— Qu'est-ce que double face fait ici ? grogne-t-il une fois à l'écart, dans un coin d'escalier où il n'y a jamais personne.

Double face, j'avais oublié ce surnom. Je vous ai déjà dit que Kacchan adore ne pas appeler les gens par leur prénom ? Il faut toujours qu'il les nomme autrement, et ce n'est jamais un surnom avantageux... Il ne faut pas être susceptible quand on côtoie Kacchan, c'est indéniable.

Maintenant qu'il en parle, c'est vrai qu'il ne m'avait toujours pas dit qu'il avait revu Shoto. Je me doutais que ça le surprendrait, lui aussi. Même s'ils ne pouvaient pas se piffrer, et qu'ils n'ont jamais été particulièrement proches, je me doutais qu'il se souviendrait de lui.

— Il est revenu pour retrouver sa ville natale. Il en avait marre de vivre avec son père alors quand il a appris que sa soeur — qui est majeure — revenait ici, il a décidé d'emménager avec elle.

— Putain j'ai failli dégueuler quand je l'ai croisé dans les couloirs, je m'attendais pas à croiser sa face de rat. T'as vu la cicatrice dégueulasse qu'il a autour de l'oeil ?

— Oui, et c'est un sujet assez délicat à aborder pour lui...

— T'aurais au moins pu me prévenir qu'il était revenu, ça m'aurait évité d'avoir à le frapper. Sale nerd.

J'écarquille les yeux.

— Tu l'as frappé ?! Mais pourquoi ?!

Il claque sa langue contre son palet, signe d'irritation. Je n'y prête pas attention. Après tout, Kacchan est toujours irrité.

— C'est lui qui a commencé. Je l'ai traité de tapette, et je sais pas pourquoi il l'a super mal pris. Il réagissait pas autant avant, quand je l'insultais.

Shoto qui se laisse submerger par ses émotions, c'est rare. Mais Shoto qui devient violent, c'est du jamais vu. J'avoue que j'ai également du mal à comprendre pourquoi il a réagi ainsi. Kacchan le traitait de tous les noms dès qu'ils se croisaient, mais Shoto s'était toujours contenté de l'ignorer.

— C'estvraimenttrèsétrangejenecomp
rendpastrèsbien.TuasduconfondreShotonefrappepaslesgensilestsicalme,nonnonnonc'estpaspossible...

— Deku, continue de marmonner et je t'explose la face.

— Pardon. Où est Shoto ?

Il plante son regard écarlate dans le mien. Je suis assez mal à l'aise, je déteste quand il fait ça. Je ne sais jamais s'il est sur le point de m'en coller une ou non.

— Démerdes-toi.

Sur ces dernières paroles, il détourne les talons, les mains dans les poches. Je reste planté là quelques instants, assimilant encore la situation, avant de m'élancer dans le lycée. La sonnerie retentit, mais je ne l'entends pas vraiment, un peu comme si j'y étais imperméable. Peu importe que les cours reprennent et que j'arrive en retard, il faut absolument que je retrouve Shoto.

J'arpente les couloirs à contre-sens, luttant pour me frayer un passage parmi cet amas uniforme de lycéens qui se rendent en classe. Je fouine dans tous le bâtiment pendant cinq bonnes minutes avant de finalement apercevoir une touffe de cheveux blanche et rouge dans les toilettes pour hommes.

Il se regarde dans le miroir, le visage trempé — il a sûrement dû nettoyer le sang qui devait couler de ses blessures. Kacchan ne l'a pas raté: ses deux narines sont bouchées par des bouts de papier toilettes ensanglantés et un beau bleu orne la pommette sur laquelle il n'y a pas sa cicatrice.

Soudain, je croise son regard à travers le miroir. Il m'a vu, ses doigts se crispent autour du lavabo. Je m'approche vers lui d'un pas hésitant, avant de finalement poser ma main sur son épaule. Je ne sais pas pourquoi j'ai fait ça. J'ai juste ressenti le besoin de le toucher en le voyant aussi mal.

— J'ai croisé Kacchan, il m'a raconté ce qui s'était passé... Tu veux en parler ?

Ses lèvres se mettent à trembler. Les jointures de ses doigts deviennent blanches tant il serre le lavabo. Puis, le tremblement semble se répandre dans tous son corps, de ses lèvres aux épaules. Une larme roule sur sa joue, qu'il essuie aussitôt d'un geste de la main. Mais une autre suit, et encore une, et encore une. Je ne réfléchis pas: j'enlève mon vieux sac à dos jaune de mes épaules et enlace Shoto de toutes mes forces, pour lui montrer que je suis là, et qu'il n'est pas tout seul.

Nos souvenirs évanescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant