Chapitre 10.
— IZUKU, TU AS UNE AMOUREUSE ? m'avait-on demandé un jour à la récréation.
Je devais avoir huit, peut-être neuf ans. Shoto n'était pas là, il avait choppé un gros rhume qui l'avait cloué au lit. Je me souviens m'être senti très seul. Mais je me sentais toujours seul lorsque Shoto n'était pas là pour me tenir compagnie.
Deux petites filles me fixaient avec de grands yeux impatients. Je crois me rappeler que l'une d'elle se prénommait Momo. J'étais en train de jouer au bille avec Kacchan lorsqu'elles m'ont accosté. Ce dernier leur a d'ailleurs dit de "dégager" avec toute la délicatesse dont il pouvait faire preuve, mais elles n'ont pas bougé. Apparemment, elles étaient déterminées à entendre ma réponse. J'ai donc rassemblé mon courage à deux mains pour tenter de formuler un mot intelligible; je n'ai jamais été très à l'aise avec les filles.
- Non.
- Et Shoto, il en a une, d'amoureuse ? m'a questionné Momo qui n'avait pas réussi à masquer le tremblement dans sa voix.
J'ai sérieusement réfléchi à la question, tandis que Kacchan commençait sérieusement à s'impatienter en leur hurlant d'aller "crever ailleurs". On aurait dit qu'il était prêt à exploser. Enfin, c'était toujours comme ça avec lui. Il était tout le temps en colère pour un oui ou pour un non, une vraie bombe humaine prête à imploser à la moindre phrase de travers.
Shoto ne me parlait pas beaucoup, notre relation était juste très fusionelle, il n'avait pas besoin d'ouvrir la bouche pour que je comprenne le message qu'il souhaitait me faire passer. Ses confidences se faisaient donc assez rares. Je n'avais pas le souvenir qu'il m'ait déjà parlé d'une fille.
- Non.
Elles ont hoché la tête, l'air satisfaites, et sont parties en courant. Kacchan leur a crié une dernière insulte avant de reprendre la partie de bille là où elle avait été arrêtée. Je les ai regardé s'éloigner avec un étrange sentiment dans la poitrine. C'était un mélange de colère et d'incompréhension. À l'époque, je n'ai pas compris ce qui m'avait mis dans cet état. Aujourd'hui, je pense que c'était tout simplement de la jalousie.
J'ai toujours été le seul ami de Shoto. La seule personne à même de l'écouter, de le protéger, de lui parler, d'être avec lui. J'imagine que savoir que d'autres commençaient à s'intéresser à lui me donnait l'impression de ne plus être aussi unique. Shoto était mon ami, pas le leur. C'est égoïste, mais les enfants sont ainsi.
Je ne sais pas trop pourquoi je pense à ça maintenant, au beau milieu du cours d'histoire. Peut-être est-ce parce que les deux filles de devant sont en train de parler de leurs crush mutuels et qu'elles ne sont pas suffisamment discrètes pour que je n'écoute pas leur conversation. Ou peut-être est-ce parce qu'Ochaco m'a fait une déclaration ce matin, juste avant de rentrer en classe.
Je dois avouer qu'elle m'a pris au dépourvu, sur le coup. Je n'y étais absolument pas préparé. Nous sommes amis depuis la sixième, alors je ne pensais pas qu'elle finirait par éprouver des sentiments à mon égard. J'ai dû balbutier quelques phrases incompréhensibles avant de me ressaisir et d'articuler que je devais y réfléchir. Je ne veux surtout pas lui briser le coeur, mais je ne veux pas non plus perdre son amitié. C'est compliqué...
Je lui ai dit que j'avais besoin de temps pour lui donner une réponse. Elle a répondu "ok" et est allée s'installer dans la classe comme si de rien n'était, comme si elle avait l'habitude de déclarer sa flamme tous les mardis du mois.
Je n'ai aucune idée de ce que je vais bien pouvoir lui dire tout à l'heure, au déjeuner. Je la vois comme une amie, une très bonne amie, mais ça s'arrête là. C'est comme pour Tenya, je ne me vois vraiment pas construire une relation amoureuse avec l'un d'eux. Ça va être délicat, mais je vais essayer de le faire comprendre à Ochaco sans trop la blesser. J'espère qu'on pourra rester ami, même si je sais que cet espoir est naïf.
- Tu sais, je crois qu'Ochaco a le béguin pour toi depuis la quatrième, me chuchote Tenya, mon éternel voisin.
J'arque un sourcil. C'est rare qu'il se permette de discuter pendant les cours.
- Je ne l'avais pas remarqué...
- Ne lui brise pas trop le coeur. On sait tous les deux que sous ses grands sourires se cachent un coeur fragile.
Je ne dis rien. Tenya est définitivement le plus perspicace de notre trio. Je vais faire de mon mieux pour ne pas la faire pleurer, et je prie pour que ma réponse ne soit pas trop dur à avaler... En y repensant, je me demande pourquoi je me refuse catégoriquement d'accepter les sentiments d'Ochaco. Je ne l'envisage même pas, je repousse fermement cette option.
Pourtant, en toute objectivité, Ochaco est très jolie. Elle est agréable à vivre. Elle est joviale, drôle, toujours de bonne humeur. Mais quelque chose me bloque. J'ignore quoi. Quand j'essaye de trouver la cause de mon refus, c'est le visage de Shoto qui me vient en tête, ce qui ne m'aide pas vraiment.
D'ailleurs, en parlant de lui, je ne sais toujours pas quelle mouche l'a piqué lors de notre sortie de samedi. Lorsque nous étions enfants, j'arrivais toujours à déchiffrer ce qui lui passait par la tête, bien que ses sentiments et pensées soient bien cachés derrière son masque d'austérité. Mais là, je crois que ça m'a un peu déstabilisé de constater que j'ai beau me triturer les méninges, je ne parviens pas à déceler ce qui a bien pu le tracasser.
En repensant à cette fameuse journée, il me semble que je m'étais promis de tirer au clair les derniers éléments que ne m'a pas révélé Shoto. Il serait peut-être temps qu'on aient cette discussion, lui et moi. Et en parallèle, je vais aussi devoir trouver une bonne approche pour mettre un râteau à Ochaco. Et le râteau le moins douloureux possible. Un râteau tout doux, un râteau en coton.
— Faut qu'on parle, m'interpelle d'un ton très ferme une voix devant moi.
Le cours d'histoire vient de se terminer, les élèves commencent à quitter la salle. Je n'ai pas encore relevé ma tête que j'ai enfouie dans mes bras. La voix était trop grave pour être celle d'Ochaco, et trop rauque pour être celle de Tenya. Mais surtout, elle était trop hargneuse pour être celle de Shoto.
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Nos souvenirs évanescents
FanficShoto Todoroki. C'est ainsi que se prénommait mon meilleur ami. Lui et moi étions inséparables. On étaient toujours fourrés ensemble, à jouer sous la pluie ou à nous raconter des histoires dans un coin de la récréation. Cependant, à la fin de l'écol...