II

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Chapitre 2.

     MONSIEUR AIZAWA EFFACE LE TABLEAU avant que je n'ai le temps de tout prendre en note. Je jette un coup d'oeil furtif à l'horloge, sachant pertinemment que ce prof ne manquerait pas de me faire une remarque si jamais j'avais le malheur de regarder l'heure trop longtemps. Il prend généralement ça comme de la provocation, comme si on avait envie de lui faire passer le message que ses cours sont ennuyeux à mourir et qu'il est plus distrayant de compter les secondes en attendant la fin du cours. Ce qui n'est d'ailleurs pas totalement faux.

Il reste cinq minutes, monsieur Aizawa fait un bref récapitulatif de tout ce qui a été dit. J'en profite pour laisser mon esprit divaguer un peu, en reportant mon attention sur le ciel bleu nacré de nuages qui s'étend par delà la fenêtre. À côté de moi, Tenya continue de boire les paroles de notre professeur d'histoire-géo, ne se permettant pas une minute de répit. Moi, je n'ai pas la force de continuer à écouter, je préfère lâcher prise, juste un instant.

Je ferme les yeux brièvement, la tête entre mes bras, priant pour que monsieur Aizawa ne me remarque pas.

Je suis accroupi dans des cailloux blancs, dans ce qui semble être la cour de récréation de mon école primaire. La figurine d'All Might, mon super héros favori dans les mains, je conte ses exploits à un autre enfant qui me regarde avec fascination. C'est Shoto, qui semble suspendu à mes lèvres. Je lui raconte comment All Might est venu à bout de son ennemi juré One for All, avec force et bravoure. Il ne m'interrompt pas.

Je me souviens maintenant, comment Shoto me regardait chaque fois que je lui contais une aventure d'All Might, que je lui expliquais avec enthousiasme ce que j'avais vu comme dessin animé à la télévision. Il avait des yeux qui me dévisageaient, qui m'étudiaient, comme si j'étais un corps étranger, une chose ésotérique qu'il ne comprenait pas. Comme si mes plaisirs enfantins lui étaient inconnus.

Quand j'y pense, c'était toujours moi qui faisais la conversation pour deux. Shoto n'a jamais été un grand bavard. Mais même au delà de ça, il ne m'a jamais fait part de ses centres d'intérêts, de ce qu'il lisait, regardait à la télé, ou ce à quoi il jouait une fois rentré chez lui. Lors de nos échanges, il se contentait toujours de hocher la tête au fil de mon récit, ou de poser des questions de temps à autre, pour approfondir mes descriptions bancales.

Ça ne me choquait pas à l'époque, je pensais naïvement que c'était parce que Shoto était juste un peu timide, que c'était dans sa nature. Mais en réalité, je crois que Shoto n'a jamais vraiment eu d'enfance.

— Izuku, réveille-toi, le cours est fini, me dit Tenya pour me sortir de ma torpeur.

Relevant mollement la tête, je constate sans grande surprise qu'il ne reste plus personne dans la classe, à l'exception de Tenya et Ochako qui me regarde avec amusement. Ah, je remarque aussi monsieur Aizawa, qui somnole derrière son bureau.

— Bon, dépêche-toi Deku, la récré a déjà commencé et je n'ai pas envie de la louper ! s'exclame Ochako.

— Ah oui, excuse-moi !

Me rendant compte que je leur fais rater une partie de la pause du matin, je m'empresse de ranger toutes mes affaires dans mon sac. Nous quittons la salle d'un pas pressé, non sans oublier de saluer notre professeur qui nous répond d'un geste de la main, toujours à moitié endormi devant son ordinateur.

— Y a pas à dire, la seconde, c'est quand même vachement plus compliquée que le collège, soupire Ochako. C'est tellement difficile, en plus je me perds tout le temps, ce lycée est tellement grand ! On a commencé les cours il y a à peine une semaine, et je n'arrive toujours pas à prendre mes marques !

— Tu ne vas quand même pas baisser les bras si vite ! Un peu de nerf voyons ! la réprimande Tenya en secouant son bras droit de bas en haut, une mimique bien à lui.

Je rigole légèrement avant d'écarquiller les yeux. Le temps semble se figer, comme mon corps lorsque je l'aperçois au détour d'un couloir. J'ai cru voir, ne serait-ce qu'un instant, ses mèches de cheveux si caractéristiques. Mais c'était étrange, il y avait comme une espèce de tâche rouge autour de son oeil... Alors ça ne pouvait pas être Shoto, je me serais souvenu s'il avait une cicatrice lui mangeant une partie du visage.

Néanmoins, sans que je ne sache trop pourquoi, sans que je ne puisse y donner une raison logique, je m'élance à la poursuite de ce souvenir décharné, de cette illusion onirique. Ochako et Tenya ne semble pas comprendre pourquoi je me mets à courir si soudainement, en direction d'un lointain couloir. Je me laisse tout simplement aller à une sorte d'impulsion, qui me pousse à me mettre en quête de cet inconnu qui me semble pourtant si familier.

— Shoto ?! l'appelé-je malgré moi.

Je ne suis plus qu'à quelques mètres de lui. Je n'ai que la silhouette de son dos en vision, ainsi que ses courts cheveux rouges et blancs. Je l'ai vu frémir lorsque j'ai prononcé son nom. Alors c'est vraiment réel ? Le Shoto qui m'a abandonné sans me laisser une explication est vraiment de retour après cinq ans d'absence ? Dites-moi que c'est une blague...

— Salut, Midoriya. Ça fait longtemps, me lance-t-il en se retournant vers moi, ne semblant nullement surpris de me voir.

Midoriya. Il n'y a que lui pour m'appeler par mon nom de famille. Je sens les larmes me monter aux yeux, tant mon étonnement est grand de le retrouver ici, au lycée, alors que je m'étais préparé à ne plus jamais croiser son chemin. Néanmoins, d'un geste rageur de la main, j'essuie les prémices de mes pleurs. Je ne voudrais pas paraître faible, et encore moins devant lui. J'ai un million d'interrogations à lui poser, ce n'est pas le moment de se laisser aller.

— Salut, Shoto. Il va falloir qu'on parle, je crois.

Il me toise longuement, me rendant encore plus mal à l'aise que je ne le suis déjà. Il finit par acquiescer.

— C'est prévu. Rendez-vous dans à la cabane à dix-huit heures, aujourd'hui même. À ce soir.

Sur ce, il tourne les talons, me laissant avec encore plus de questions que je n'en avais déjà avant. Comment ça, c'est prévu ? Qu'est-ce qu'il fait ici ? Qu'est-ce qu'il a foutu pendant ces cinq longues années ? Pourquoi il revient maintenant ?

Mais surtout, qu'est-ce que c'est que cette marque de brûlure autour de son oeil gauche ?

Nos souvenirs évanescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant