VI

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Chapitre 6.

     JE PLANTE DISTRAITEMENT UNE PAILLE rayée de rouge et de blanc dans mon soda. Nous avons décidé de manger au restaurant japonais pour midi, comme le désirait Shoto. Ça nous change un peu, nous qui avons pris l'habitude d'aller manger au kebab du coin sans chercher plus loin. Il faut dire aussi que c'est bon et pas cher.

Sans grande surprise pour moi, Shoto n'a même pas jeté un oeil au menu avant de commander les nouilles soba. J'ignore pourquoi, ça a toujours été son péché mignon. Par contre c'est la première fois qu'Ochaco et Tenya mettent les pieds ici, et ça fait bien dix minutes qu'ils réfléchissent à ce qu'ils vont prendre. J'opte pour un katsudon, un bol de riz avec du porc pané.

J'ai eu l'occasion de découvrir ce plat quelques années avant le déménagement de Shoto. Sa mère, madame Todoroki — que je rencontrais alors pour la première fois — m'avait invité avec mes parents à venir manger dans un restaurant asitatique afin de faire plus ample connaissance. Il n'y avait pas le reste de sa famille. Il n'y avait qu'elle et Shoto.

C'est d'ailleurs comme ça que j'ai appris que le plat préféré de Shoto sont les nouilles soba. Comme aujourd'hui, il les avait commandé sans même jeter un coup d'oeil à la carte. Il ne m'a jamais affirmé que c'était son plat préféré. Je n'ai fait que le déduire en apercevant cette étincelle dans son regard lorsque son plat fut servi.

Ne sachant que prendre, puisque c'était la première fois que je pouvais goûter à de la nourriture asiatique — excepté les ramens que j'avais déjà eu l'occasion de manger chez la mère de Kacchan, étant donné que c'est sa spécialité — je choisis la même chose que mon ami. J'ai bien aimé ces étranges pâtes au sarasin, mais sans plus. Ça n'avait pas suscité en moi la même passion que chez mon voisin d'en face, qui se régalait visiblement.

Mais j'étais revenu une seconde fois dans ce restaurant, sans Shoto cette fois-ci. Mes parents avaient apprécié la nourriture, aussi avaient-ils décidé d'y retourner. J'avais alors commandé un katsudon, pris complètement au pif sur la carte. J'aimais juste le nom qui me faisait penser à Katsuki.

Et quel délice ça avait été. Un véritable coup de coeur.

— Je vais prendre... Euh... Le katsudon aussi ! s'exclame Ochaco, un peu embarrassée de faire ainsi patienter la serveuse.

— La même chose je vous prie, enchaîne Tenya.

La serveuse hoche la tête avant de leur ôter le menu des mains, et de s'en aller vers les cuisines.

— C'est bon le katsudon ? me chuchote Ochaco.

— Tu verras.

En attendant nos plats, Tenya meuble la conversation en parlant un peu des cours et des prochaines notions qu'il voudrait réviser. Ochaco mime de s'endormir pour l'embêter, ne partageant pas du tout sa façon de voir les études et le travail. Il n'y a que Tenya pour être aussi enjoué à l'idée de faire des fiches de révisions.

— Pendant notre heure de trou du lundi, il faudra qu'on travaille la dernière leçon de mathématiques, nous informe Tenya.

Ochaco et moi hochons mollement la tête. Nous savons tous les deux que nous ne pourrons pas y échapper, et que Tenya nous traînera par la peau des fesses si jamais nous osons sécher cette séquence de révision.

Nous faisons souvent mine de nous plaindre pour nous moquer gentiment de Tenya, mais en réalité, je pense que nous lui sommes tous les deux reconnaissants de nous entraîner autant à nous surpasser. Sans lui, je pense que ça fait longtemps qu'Ochaco aurait laissé tomber les cours. J'ai pour ma part moins de mal qu'elle à étudier, même si ça ne m'enchante jamais beaucoup de me dire qu'il va falloir que je bosse.

— Et toi Shoto, ça te dirait de te joindre à nous pour réviser ? lui demande Ochaco. Ça a l'air un peu ennuyant dit comme ça, mais je peux t'assurer qu'on rigole bien avec Tenya qui s'énerve au moindre bâillement !

— Il faut dire que vous êtes doués pour me faire tourner en bourrique, se contente de répliquer Tenya en rehaussant ses lunettes.

Je porte mon attention sur Shoto, dont j'attends impatiemment la réponse. J'ai très envie qu'il accepte. Peut-être trop envie, d'ailleurs. Je ne devrais pas être aussi enjoué à l'idée qu'il nous rejoigne pour une simple session de révision... J'ai l'impression que plus je passe du temps avec lui, mieux je me sens. Mais c'est sans doute parce qu'il m'a beaucoup manqué, inconsciemment.

— Ça me dirait bien, oui. À quelle heure ?

— On est libre de dix à onze, sinon de dix-sept à dix-huit heures, répond Tenya, qui a déjà imprimé notre emploi du temps dans sa mémoire alors que nous n'avons repris les cours depuis seulement deux semaines.

— Je suis libre à dix-sept heures.

— Parfait alors ! m'exclamé-je avec plus d'entrain que je ne l'aurais voulu.

Il me répond par un petit sourire, et ce simple geste me fait plus d'effet que n'importe quel mot.

Sur ce, la serveuse revient avec une assiette de soba dans une main et un plateau avec nos trois katsudons dans l'autre. Nous la remercions avant de nous saisir de nos baguettes et d'entamer nos plats. Je souffle un peu sur mon bol fumant tout en surveillant distraitement Shoto. La même étincelle que lorsque nous étions enfant brille dans son regard lorsqu'il apporte les nouilles à sa bouche. Je ne peux m'empêcher de sourire en le constatant.

Je jette ensuite un coup d'oeil vers Ochaco et Tenya, pour voir comment ils s'en sortent avec leur katsudon. Et je manque de m'étouffer avec un grain de riz en voyant Ochaco galérer avec ses baguettes. Ça se voit qu'elle n'a pas l'habitude des restaurants asiatiques.

— Deku ! Arrête de rire et apprends moi plutôt à me servir de mes baguettes ! s'offusque-t-elle.

Je ne sais pas comment elle s'est débrouillée pour mettre la moitié du katsudon hors de son bol. Elle a beau faire tous les efforts du monde pour essayer de m'imiter, elle n'arrive pas à coordonner son index et son majeur.

— Applique-toi, ce n'est pas si compliqué, la réprimande Tenya qui s'en sors beaucoup mieux avec les baguettes.

— La ferme l'intello.

Elle lui tire la langue avant de prendre la tranche de porc pané — qu'elle a fait tomber sur la nappe — avec les mains et de l'engloutir d'une traite, le regard fier, narguant ouvertement Tenya.

— Tu es un porc.

— Merci pour le compliment, réplique-t-elle.

Je ris, toujours aussi amusé par leurs petites disputes. Lorsque je me calme et que je prends une nouvelle bouchée de porc pané, je croise le regard de Shoto qui m'observe le sourire aux lèvres. Les traits de son visage sont si détendus pour une fois. Comme s'il était heureux de passer ce moment avec nous. Alors je lui souris aussi, content de pouvoir contribuer à son bonheur.

Nos souvenirs évanescentsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant