Chapitre 8.
JE GRIMACE EN SENTANT LES galets qui tapissent le fond du ruisseau me heurter le dos. Je voulais entraîner Shoto dans l'eau pour l'embêter un peu, mais je n'avais pas prévu que la chute fasse si mal. Je sens une douleur au niveau du coccyx, je crois que mes fesses sont tombées sur une pierre plus grosse que les autres.
Je rouvre les yeux que j'avais fermés pendant la chute pour tomber nez à nez avec Shoto, à quatre pattes au dessus de moi, ses cheveux s'égoutant sur mon visage. Vu comment il se pince les lèvres, lui non plus n'a pas dû trouver notre glissade très agréable. Il me fusille du regard, et j'avale difficilement en imaginant sa vengeance qui risque de s'ensuivre.
Mais rien ne vient.
Je reporte mon attention sur son visage, cherchant à comprendre la raison de son immobilisation. Il semble inquiet. Il approche sa main de ma joue comme s'il s'apprêtait à ramasser un oisillon tomber du niz, avec douceur et lenteur. Je ne dis rien, ne bouge pas, j'attends juste de voir ce qu'il va faire. Je suis comme en transe devant ses mouvements maladroits.
Il pose son pouce sur ma pommette, sans appuyer le moins du monde, et la caresse, du bout du doigt. Sans doute de la même manière qu'il caresserait cet oisillon blessé pour le rassurer avant de le remettre dans son nid. Mon coeur tambourine dans ma cage thoracique. J'ai l'impression qu'il va exploser.
- Tu saignes.
Hein ?
Cette phrase résonne dans mes oreilles. Elle me fait l'effet d'un brutal retour à la réalité. Je reprends peu à peu conscience des choses qui m'entourent. Du grésillement des grillons, de l'eau qui s'écoule, du vent qui vient murmurer contre les feuilles des arbres. De la bataille d'eau entre Ochaco et Tenya qui se situe quelques mètres plus loin.
Me redressant sur mes coudes, je passe à mon tour ma main à l'endroit où il m'a touché. J'observe le liquide rougeâtre dévaler mes doigts mouillés, le regard dans le vague.
- C'est vrai. J'ai dû m'écorcher en tombant.
Il reste ainsi sans bouger pendant une bonne dizaine de secondes. Je ne sais pas s'il est dans ses pensées où s'il n'a toujours pas réalisé la position dans laquelle il se trouve. Quoiqu'il en soit, je suis gêné malgré moi par cette proximité inopinée.
- Euh... Tu veux bien t'écarter un peu, s'il te plaît ?
- Ah euh oui, excuse-moi...
Il se met alors sur les genoux, face à moi. Il essaye de paraître impassible, mais je vois bien que la situation l'a perturbée. La preuve, il refuse de me regarder dans les yeux. Il faut que je dise quelques chose, et vite, ou l'ambiance risque de devenir plus malaisante qu'elle ne l'est déjà.
- Tu as une grenouille dans les cheveux.
Il écarquille les yeux.
- C'est vrai ?! Enlève-la moi tout de suite !
Il tire la grimace en secouant sa tignasse dans tous les sens. J'éclate de rire en le voyant paniquer autant. Je ne pensais pas que cette petite vanne le ferait réagir autant.
- Mais non, je blaguais Shoto !
- Toi...
J'aimerais immortaliser l'expression de son visage en ce moment. Je ne peux empêcher un sourire nostalgique d'étirer mes lèvres en me rappelant qu'il faisait exactement la même tête à l'époque, alors que nous n'étions pas plus haut que les canards à basculent sur lequels nous nous amusions de temps à autre en allant au parc.
Il tirait cette tête lorsque j'osais lui voler un bonbon. Il tirait cette tête lorsque je l'éclaboussais par mégarde en sautant à côté de lui dans une flaque d'eau. Il tirait cette tête lorsque je gribouillais dans la marge de ses cahiers pour attirer son attention. Il plissait toujours les yeux et encrait son regard dans le mien, comme pour essayer de me faire passer le message que si j'osais continuer à l'embêter, j'allais en subir les conséquences.
Mais malheureusement pour lui, cette menace silencieuse ne m'avait jamais vraiment fait peur.
- Deku, tu es blessé ?! s'exclame Ochaco en accourant vers moi, ses converses pleines de boues et d'algues vertes.
- Ça va, c'est rien.
- Attends, j'ai des pansements dans mon sac, je reviens !
Cette fille est vraiment un ange. Je ne connais personne qui soit aussi empathique qu'elle. Ce n'est pourtant qu'une petite entaille, mais pour elle, ça semble aussi grave que si je m'étais cassé un bras ou une jambe.
Alors que je me rends compte avec dégoût que j'ai écrasé par mégarde une larve de libellule avec mon coude, Shoto se relève brutalement de l'eau. Je pensais qu'il allait me tendre sa main pour m'aider à me relever, mais il se détourne pour regagner l'endroit où nous étions assis pour manger nos pâtisseries sans un regard pour moi.
Je fronce les sourcils en m'apercevant qu'il a l'air contrarié. Et ce qui me frustre, c'est que je ne parviens pas à savoir pourquoi. J'ai dit quelques chose de mal ? C'est parce qu'il n'a pas digéré le fait que je l'entraîne dans l'eau ? Il pense que c'est lui qui m'a blessé alors il s'en veut ?
Je ne comprends pas.
- Et voilà ! chantonne Ochaco en appliquant un pansement sur ma joue meurtrie. Bon, tu te relèves aujourd'hui ou demain ?!
- Demain, je suis trop bien ici. J'ai les fesses contre un rocher pointu et le coude dans un cadavre de bébé libellule, que demander de plus ?
- Beurk.
Elle me tend sa main, que j'accepte avec plaisir pour m'aider à m'extirper de cette mélasse d'eau glacée et d'algues gluantes. Nous rejoignons Shoto et Tenya qui discutent des cours. Je m'assois à côté de mon ami d'enfance, espérant ainsi attirer son attention et pouvoir lui demander discrètement ce qui l'a énervé, mais il fait comme si de rien était.
- Au fait, il est quelle heure ? demande Ochaco qui s'est assise à ma droite.
- Bientôt quinze heures pourquoi ? réponds-je en regardant sur mon téléphone, que j'avais eu la présence d'esprit de laisser dans l'herbe avant de me faire basculer dans le ruisseau avec Shoto.
- Va falloir que j'y aille, je dois garder une petite à seize heures.
J'opine de la tête. Ochaco fait du baby-sitting depuis quelques temps déjà afin d'aider un peu ses parents à arrondir les fins de moi. Je trouve ça admirable de sa part. Lorsqu'elle nous l'a annoncé, Tenya et moi l'avons immédiatement soutenue.
Nous rassemblons alors nos affaires pour lever le camp. Nous gravissons cette fois la pente pour regagner le chemin de terre à travers les champs de blé. Ochaco mène la file, avec derrière elle Tenya, puis Shoto, et enfin moi. Prenant mon courage à deux mains, je lui tapote le dos avant de lui demander:
- Tu es fâché contre moi ?
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Nos souvenirs évanescents
FanfictionShoto Todoroki. C'est ainsi que se prénommait mon meilleur ami. Lui et moi étions inséparables. On étaient toujours fourrés ensemble, à jouer sous la pluie ou à nous raconter des histoires dans un coin de la récréation. Cependant, à la fin de l'écol...