Chapitre 6

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~ Madeleine ~

Il laissa le doigt sur la détente. Sa main n'était pas crispée. Juste posée sur l'arme comme si elle ne faisait qu'un avec lui. Les secondes s'engendrèrent sans que nous ne rompions le silence. Puis lentement, il retira son doigt. Son pistolet était le même que les officiers qui étaient déjà passés par l'hôpital. Un Walther P38. 9 millimètres. 8 coups. De quoi largement me tuer si le chargeur était plein. Mais il le rangea soudain sans me lâcher du regard. Puis il retira l'étui qu'il déposa lentement sur le bureau à ses côtés. Il fit de même avec sa ceinture. Je restais figée sans savoir à quoi m'attendre. Jäger s'assit alors sur le bout du bureau en laissant un soupir lui échapper. 

- Nous voilà encore ensemble, Madeleine... 

Je ne répondis pas. Je n'étais pas convaincue que sa phrase appelait une réponse de toute manière. Il déboutonna sa veste, enlevant le bouton qui semblait l'étouffer au niveau de la gorge, dégageant son cou. Pour ce faire, il retira la Croix qui barrait le tissu. Je la reconnus aussitôt : la croix de chevalier de la croix de fer, surmonté de feuilles de chêne et de deux glaives. Hitler l'avait institué en 1941. En dernière décoration pour le mérite de ses soldats. Pour faits exceptionnels de guerre. C'était une croix pattée noire, avec des reliefs dorés. Au centre, il y avait le symbole du parti nazi. La croix gammé. Puis ce fut au tour de sa chemise. Il ne retira que deux boutons à chaque fois. Juste assez pour être à l'aise. Sauf que cela accentua ma gêne. 

Il partit vers son lit et attrapa l'un des draps encore plié au bas de ce dernier. Je les avais laissé en surplus pour ne pas à avoir en ramener à chaque fois. Je n'avais tout simplement pas imaginer que Jäger les prendrait de suite. Il déplia le tissu et se rapprocha, me faisant déglutir. Reste calme... Mais l'officier se contenta de les déposer sur mes épaules. Il arrangea le drap de telle sorte à masquer mon uniforme déchiré, couvrant par la même occasion mon sein. J'attrapais le tissu pour le coincer dans mes doigts, en guise de parure. Jäger me regarda toujours. Je détournais les yeux en me mordillant la lèvre inférieure, dépassée. 

- Merci... 

Il ne répondit pas. Son aura transpirait la virilité. Un long frisson me fit courber la tête alors que je me forçais à penser à autre chose. C'est un allemand, nom de Dieu ! Un allemand ! Il regagna le bureau, s'appuyant à nouveau sur l'angle opposé au mien. 

- Je viens de passer trois jours éreintants, reprit-il sans me regarder. Trois jours à remonter je ne sais pas combien de kilomètres pour gagner cet hôpital et rejoindre le peu d'hommes qui me restait. Et tout ça pour quoi ? 

Il revint sur mon visage. Je restais le dos droit en soutenant son regard. 

- Parce que des ordres ont été mal exécuté, au-dessus de moi, gronda-t-il. Et sur 709 hommes, je n'en commande plus qu'une cinquantaine. 

Un ricanement amer lui échappa. Une boule se forma au creux de mon ventre. On était en guerre. Et c'était un ennemi. Un ennemi très dangereux, me rappela ma conscience alors que je détaillais à nouveau son grade. Présent à plusieurs endroits, mes yeux voguaient d'un côté à l'autre de l'uniforme. 

- Mais que peut-on faire quand on vous ordonne de rejoindre le front ? Ricana-t-il encore. Vous vous taisez et vous vous exécutez. En espérant revoir ces hommes que vous avez formé. C'est rarement le cas. Et j'ai beaucoup de chance d'avoir encore deux de mes capitaines. Certains bataillons ne sont jamais rentrés, totalement décimés. 

Il pinça les lèvres, agacé par quelque chose - ou quelqu'un - qui n'était pas là. Il revint sur mon visage. Mais il semblait déjà loin, plongé dans des souvenirs que je ne pouvais pas comprendre. Nous avions évidemment connu l'horreur de la guerre aussi. J'avais perdu un nombre incalculable de militaires - français comme allemands. J'avais dû trier les blessés, priorisant ceux qui avaient une chance de survie parce que nous n'étions tout simplement pas assez équipés, pas assez nombreux pour supporter l'arrivée de tant de blessés... 

1943 : Amour de guerreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant