Prologue - Sable & sang

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Azalaïs avait l'habitude de parcourir la forêt d'Alcali, celle qui bordait son village natale, lors de son retour de la chasse. La petite fille était une piètre chasseuse, mais elle suivait avec minutie les instructions de son grand frère, Loìs. Quand il aurait atteint l'âge adulte, il pourrait s'engager dans la flotte royale et rapporter davantage d'argents dans le maigre coffre familial. Azalaïs reprendrait le flambeau une fois son frère parti, et le rejoindrait plus tard dans les rangs de l'armée. Ce plan garantissait la pérennité financière de leur famille.

– Loìs, un jour, je serais aussi fort que toi à la chasse ? demanda-t-elle, portant trois cadavres de lapins sur l'épaule.

Son grand frère ébouriffa sa chevelure auburn en lui adressant un rire chaleureux.

– Tu auras tout le temps de t'améliorer, Az', dit-il, plein de bienveillance. Tu sais, tu es encore jeune.

– Mais moi aussi je veux ramener du gibier pour papa et maman !

Il s'arrêta puis s'accroupit afin d'aligner son visage avec celui d'Azalaïs. Il passa ses mains éreintées par la besogne sur les taches de rousseur de sa sœur. Lui pinçant les joues avec délicatesse, il la rassura d'une voix douce :

– Si tu continues comme ça, tu seras aussi forte que moi, je te le promets !

Azalaïs serra ses petites lèvres d'un air ronchon, son esprit enfantin voulait exceller dans ce domaine sans attendre.

Enfin, Loìs prit sa sœur dans ses bras et continua sa marche.

– Allez, on doit vite rentrer pour aider maman à la cuisine. Tu sais comment elle est quand elle a faim.

Ils rentraient à présent d'un pas vif sur le minuscule chemin boueux à travers les bois. Les quelques mètres qui les séparaient de leur maison étaient tortueux. Ils devaient à plusieurs reprises grimper des immenses carcasses de tronc effondrées sur la route, ou bien éviter les terriers des loups gris. Loìs avait l'habitude de ce chemin, il le savait calme. Pourtant, il planait une agitation inquiétante dans la forêt, tous les animaux fuyaient à l'opposé de leur direction.

Plus ils se rapprochaient du village, plus l'angoisse grandissait. Une fumée noirâtre glissait, s'immisçait à travers la végétation. De la sciure pleuvait des cieux, tombant à travers les feuillages des arbres. Des grondements funestes rugissaient par-delà la cime des chênes, secouant le sol et leur cage thoracique.

Très vite, Loìs comprit ce qu'il se tramait. Il posa Azalaïs à terre après lui avoir ordonné de rester à sa place. La petite fille vit son grand frère disparaître à travers les hautes herbes tandis que tonnait les explosions.

Après une poignée d'éternelles minutes à subir les cris lointains et les bruits sourds, son corps d'enfant fragile tremblotait. Azalaïs ne supportait plus l'effroi couplé à la peur qui tordaient ses boyaux. Rongée par la terreur, elle se mit à courir à la poursuite de son frère, contre son gré. Et quand enfin elle atteignit la plage, le chaos la submergea.

La place du marché où elle se baladait avec sa mère n'était plus qu'un tas de cendre fumant. Elle peina à reconnaître le visage lacéré de Mamayaga, la gentille poissonnière qui leur offrait toujours un supplément à chaque achat.

Marchant à travers le tumulte, piétinant les corps sans vie de ses camarades de classe, Azalaïs se dirigea tant bien que mal vers sa maison. Elle n'entendait plus rien, et n'en ressentait pas plus.

Ses yeux, asséchés, voguaient à la recherche d'un visage familier, mais ne trouvaient que la mort et le désespoir. Une main ensanglantée l'agrippa par la manche, c'était le vieux Marco, le boulanger du village. Lui qui était si souriant, si serviable, ne ressemblait maintenant qu'à un morceau de chair déchiquetée. S'il n'avait pas la moitié de la figure arrachée, Azalaïs l'aurait reconnu du premier coup d'œil. Il lâcha son dernier souffle et la jeune fille avant de s'étouffer dans son propre sang.

Un sifflement aigu qui se conclut par un bruit sourd souffla la petite fille, la projetant dans les airs.

Allongée sur le sable tiède de sang, Azalaïs voyait pour la toute première fois de sa vie, le légendaire navire, le roi des océans, le tout puissant Torboyo.

Il crachait ses flammes sur son village et ses habitants. Son équipage décimait les pauvres âmes innocentes et impuissantes.

Les dernières choses qu'elle put apercevoir avant de s'évanouir furent les têtes de ses parents, détachées de leur corps, qui roulaient jusqu'à la mer.

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