Chapitre 1

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Partie 2 

Dragan fouilla les poches des truands, y ramassant de la menue monnaie et une belle flasque contenant de l'eau de vie de prune. Il y avait aussi la bourse du bourgeois. Il siffla d'admiration en apercevant son contenu.

Au moins cent couronnes d'argent : de quoi payer le loyer pendant quelques semaines. C'était une bonne prise, au regard de leur situation financière plutôt précaire. Ses collègues seraient ravis. Moqueurs de voir leur comparse se rabaisser à l'état de simple tire-laine, mais ravis.

Il inspecta l'épée à la lueur des étoiles, mais la reposa. C'était une arme d'apparat, mal équilibrée, lourde et facilement reconnaissable à l'écusson en pierres précieuses qui ornait le pommeau. Ce serait dur à revendre et on pourrait remonter jusqu'à lui. Trop de risques pour trop peu de bénéfices. L'arme confirma néanmoins ses doutes : le joueur qu'il avait traqué depuis Les Trois Brochets était issu de la bourgeoisie, voire de l'aristocratie. Il faudrait demander à Alexander. Dans la bande des Lézards, c'était lui l'expert en ragots concernant la haute société de Luxiel.

Dragan tapota les plis de son manteau pour en faire tomber la poussière. Il jura en avisant le sang qui maculait sa chemise sombre, et découvrit au passage une ou deux entailles légères récoltées lors de l'affrontement. Rien de grave. Il s'apprêtait à repartir, les talons déjà tournés, lorsqu'un sifflement rauque le retint.

Dragan n'était pas un tendre. Pourtant, comme la plupart des membres de la pègre de Luxiel, il suivait un code d'honneur assez strict. Il ne tuait que pour se défendre ou pour venger un crime d'honneur, il respectait les femmes, les enfants et les vieillards, il n'utilisait pas plus de violence que nécessaire pour parvenir à ses fins. Il s'agissait là de repères moraux assez succincts, mais il n'y dérogeait pas et ses complices non plus.

Voler, c'était une chose, c'était un métier. À Luxiel, cela faisait partie des règles du jeu. Tout le monde avait au moins un membre de la pègre dans son entourage : un équilibre discutable qui permettait la circulation des richesses. La cruauté gratuite, c'était différent.

Personne ne lui en aurait voulu, de partir en laissant le gamin agoniser contre son mur en se vidant de son sang. Il avait manqué de prudence à se balader ainsi seul la nuit, à s'enivrer dans des quartiers peu fréquentables. Cependant, quelque chose dans la respiration laborieuse du blessé fit hésiter Dragan. Il avait déjà fait demi-tour pourtant, s'était éloigné de plusieurs pas. Ce sifflement, lugubre et erratique, l'arrêta.

Il demeura immobile presque une minute, à tergiverser. Il serait beaucoup plus simple de le laisser là...

Que feraient Léo, Alex et Isaac, à sa place ? Qu'aurait fait Eireen ?

Un gémissement de douleur le tira de ses pensées et il se rendit à l'évidence. Bien sûr qu'il n'allait pas l'abandonner en pleine rue et à la merci de Luxiel tout entière. Il maudit sa tendance récurrente à se placer dans ce type de situation.

— Fait chier... conclut-il, de mauvaise humeur, avant de revenir sur ses pas.

Il s'accroupit au pied du mur, examinant sommairement le gamin.

Gamin qui, après réflexion, devait bien avoir vingt-cinq ans, soit à peu près le même âge que lui. Mais il fallait la maturité d'un enfant pour s'aventurer seul et de nuit dans le quartier du vieux port en espérant semer un voleur endurci.

Mais plus que cette couleur, ce fut son parfum qui résonna intensément dans la mémoire de Dragan ; des notes de citron confit et de gingembre, mêlées à celles du savon et du vin rouge des Trois brochets.

Une série de causes et de conséquences s'enchaîna dans l'esprit du voleur. Il resta silencieux une longue minute, à construire des hypothèses, à établir des probabilités, à peser les pour et les contre. À tenter d'inclure une nouvelle variable de poids dans des stratégies établies depuis des mois.

La Cité des Insoumis [PUBLIÉ AUX ÉDITIONS HARO]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant