Chapitre 5

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Trois ans plus tard...
Clark regarde les nuages moutonneux qui planent au-dessus de la ferme de ses parents. C'est une belle journée de printemps, et le chaud soleil de l'après-midi le remplit d'énergie. Clark a toujours été fasciné par le ciel. Il observe souvent les faucons qui survolent la propriété, et il se demande quel effet cela ferait de voler avec eux.
Les nuages sont trop loin. Il a envie de tendre la main et de les toucher.
Bien plus haut, le vent fait tourner les pales du moulin. Clark a une idée et il file vers le bas de l'imposante structure. Son père est occupé à tondre la pelouse avec son tracteur, de l'autre côté de la grange, et sa mère installe des géraniums en pot à côté du porche. Personne ne remarque donc le garçon qui commence à escalader le moulin à vent. Tout excité, il sourit jusqu'aux oreilles.
Une échelle en bois permet de grimper en haut du moulin. Ses petits bras sont tout juste assez grands pour atteindre les barreaux, pourtant il parvient rapidement au sommet. Les nuages sont toujours trop loin pour les toucher, mais la vue est à couper le souffle. Il peut voir jusqu'à Smallville et même au-delà. Des hectares de champs et de cultures s'étendent jusqu'à l'horizon. La ferme la plus proche est à plusieurs kilomètres, et, vue de cette hauteur, elle ressemble à une maison de poupée. Le soleil doré réchauffe le visage de Clark. Il a l'impression qu'il ne s'en lassera jamais.
- Clark !
La voix affolée de Martha surprend le garçon. Elle laisse tomber un pot de fleurs, qui se brise bruyamment sous le porche. Elle regarde dans la direction de Clark, l'air terrifié, et pose la main sur son cœur. Alerté par son cri, Jonathan abandonne lui aussi ce qu'il faisait et court vers le moulin. Il semble terrorisé.
- Ne bouge pas, Clark ! Reste où tu es !
Clark déglutit. Il n'a pas eu peur jusqu'à maintenant, mais la réaction de panique de ses parents lui rappelle subitement à quel point il est en hauteur, et la distance de laquelle il pourrait tomber. Il jette un coup d'œil au sol, tellement loin, tellement bas.
Si jamais il glisse...
- J'arrive Clark ! hurle Jonathan. Fais attention ! Ne bouge pas !
Les cris de son père font mal aux oreilles de Clark. Soudain, tout fait trop de bruit, comme si le monde entier avait augmenté le volume. Le mouvement des pales du moulin à vent résonne comme un réacteur d'avion. Il entend son cœur battre comme un marteau-piqueur et il perçoit les battements de celui de ses parents malgré la distance. Une légère brise rugit comme un ouragan. Un petit oiseau gronde comme un dinosaure. Clark porte ses mains à ses oreilles, mais ça ne sert à rien : il peut tout entendre.
Ses yeux sont étranges, eux aussi. Lorsqu'il regarde le sol, il voit à travers la boue et les graviers, jusqu'aux fondations rocheuses. Il parvient à apercevoir la rivière souterraine qui coule sous le puits et la fosse septique enfouie au fond du jardin. Les lumières et les couleurs ondulent devant ses yeux jusqu'à le rendre malade. Les rouges sont bien trop rouges. Les violets deviennent plus sombres, plus intenses. Lorsqu'il lève les yeux, il réalise que les murs de la maison sont désormais aussi transparents que du verre ; il réussit à voir les pièces et les meubles à l'intérieur, tout comme les tuyaux et les câbles dans les murs. La grange et le silo à grains sont devenus transparents, eux aussi. C'est comme si ses yeux s'étaient transformés en machines à rayons X incontrôlables.
Il commence à pleurer.
- Clark ! crie sa mère. N'aie pas peur, chéri, ça va aller !
Clark la regarde pour se réconforter... et pousse un cri d'effroi. La peau, les muscles et les vêtements de sa mère ont disparu, il ne voit que ses os. Elle ressemble à un squelette alors qu'elle se précipite vers le moulin. Pétrifié par cette vision d'horreur, il tourne la tête vers son père, et voit à la place un autre squelette en train d'escalader le moulin. Le crâne se tourne vers Clark et le regarde de ses orbites vides.
- Qu'est-ce qu'il se passe, fiston ? demande le crâne avec la voix de son père. Qu'est-ce qu'il t'arrive ?
Choqué, Clark perd l'équilibre. Il glisse et tombe du moulin. Le vent lui fouette le visage et il hurle de terreur. Il n'a beau être qu'un petit garçon, il sait déjà qu'une telle chute peut lui briser les os... et même le tuer.
Il entend sa mère qui crie, elle aussi. On dirait le bruit d'une sirène.
Clark s'écrase violemment sur le sol, tête la première dans la terre. L'impact lui coupe le souffle, mais il réalise rapidement qu'il est toujours en vie, et en un seul morceau. Au début, il n'ose pas bouger. Il teste avec prudence ses bras et ses jambes, s'attendant presque à ce qu'ils ne fonctionnent plus. Mais il n'a rien de cassé, pas même de bleus. Il roule sur le dos et touche son visage. Il ne saigne même pas.
- Clark !
Sa mère se jette sur lui et l'examine, affolée. Elle a l'air aussi surprise que lui de le voir intact.
- Oh, mon Dieu ! Tu vas bien ? demande-t-elle.
- Je... je crois, répond le garçon.
Il se relève prudemment et tapote ses vêtements pour enlever la poussière et les graviers. Sa chute a laissé dans le sol un trou en forme de silhouette, profond de quinze centimètres, mais il se sent déjà mieux. Le bruit des battements de cœur de Martha s'atténue. Sa peau réapparaît, et soudain elle ressemble de nouveau à sa mère.
Jonathan redescend l'échelle et se dépêche de les rejoindre. Lui non plus ne ressemble plus à un squelette. Son visage n'est plus un crâne. Les couleurs autour de Clark redeviennent normales, et les murs de la maison se solidifient à nouveau. Le monde s'apaise. Les oreilles de l'enfant ne lui font plus mal.
- Est-ce qu'il est blessé ? demande Jonathan en s'agenouillant devant Clark. Est-ce qu'il faut appeler une ambulance ?
Son regard inquiet est beaucoup plus rassurant que les orbites vides du squelette.
Martha secoue la tête. Elle semble à la fois angoissée et soulagée. Elle serre Clark dans ses bras, d'abord doucement, puis de plus en plus fort lorsqu'elle est sûre qu'il n'a rien de cassé. Il lui rend son étreinte avec prudence. Il n'a pas envie de lui faire mal.
- Je crois qu'il va bien, Jonathan, dit-elle. Cette chute... ne lui a rien fait du tout.
- Mais...
Jonathan se prépare à protester, mais il change d'avis. Il se contente de hocher la tête et d'examiner Clark lui-même. Il lève deux doigts, deux vrais doigts, pas des doigts de squelette.
- Combien est-ce que tu en vois ? l'interroge-t-il.
- Deux, répond Clark.
Son père acquiesce, rassuré que son fils n'ait pas subi de traumatisme. Il se gratte la tête, perplexe, puis finit par hausser les épaules.
- Je suis content que tu ailles bien, fiston, conclut-il.
Clark ne comprend pas. Qu'est-il arrivé à ses yeux et à ses oreilles ? Et pourquoi n'a-t-il aucune blessure ? Il lève le regard vers le moulin, qui est aussi élevé que le silo à grains. Il est tombé de tout là-haut. Il devrait être en morceaux, comme un œuf écrasé.
- Mais pourquoi est-ce que je ne me suis rien cassé ? demande-t-il. Ce n'est pas normal.
Ses parents échangent un regard plein de sous-entendus. Clark comprend qu'il y a quelque chose qu'ils ne veulent pas lui dire, comme un secret de grandes personnes. Il aimerait vraiment qu'on lui explique.
- On n'a qu'à dire que c'est un miracle, propose sa mère.
- Pour l'instant... marmonne Jonathan.
- Alors je n'ai pas besoin de voir un docteur ? demande Clark.
Il ne se rappelle pas être déjà allé chez un médecin. Ses parents lui ont toujours dit que ce n'était pas la peine puisqu'il ne tombait jamais malade. Clark réalise qu'il ne s'est jamais blessé. Il ne s'est jamais écorché le genou ni fendu la lèvre. Il n'a jamais eu d'œil au beurre noir ni même de bleu.
- Non, répond son père. Tu as eu de la chance, garnement ! En fait, ce serait une bonne idée que tu ne parles de cette chute à personne. Ce serait notre secret.
- Pourquoi ? demande Clark.
Le petit garçon espère qu'il ne va pas être trop puni pour avoir escaladé ce moulin. Il ne voulait pas faire peur à ses parents. Mais son père ne semble pas s'inquiéter de cela pour l'instant. Il a d'autres soucis à l'esprit.
- Parce que... les gens ne comprendraient pas, fiston.
- Ne comprendraient pas quoi ? murmure Clark, perplexe.
Son père a du mal à trouver les mots justes.
- La manière dont tu es tombé de si haut sans te blesser... Ça pourrait perturber certaines personnes. Ça pourrait même les effrayer.
- Mais pourquoi ? interroge Clark, de plus en plus inquiet.
Il a l'impression d'avoir fait quelque chose de mal, mais quoi ? Il l'ignore...
- C'est une bêtise, de ne pas m'être blessé ?
- Bien sûr que non ! répond sa mère en essuyant une larme. Tu n'imagines pas à quel point je suis soulagée ! Pendant un instant, j'ai cru que...
Elle n'arrive pas à terminer sa phrase.
- C'était un miracle, Clark, explique Jonathan. Mais les gens pourraient croire que tu es... différent... des autres enfants. Et ça pourrait les déranger.
- Est-ce que je suis différent ? demande Clark, la gorge nouée.
Son père prend une grande inspiration avant de répondre.
- Tu es spécial, Clark. Vraiment spécial, d'une manière qu'on ne saisit pas encore complètement. Cependant, personne d'autre ne doit le savoir, du moins pour le moment.
Il pose sa main sur l'épaule de l'enfant et le regarde droit dans les yeux.
- Je ne plaisante pas. Est-ce que tu me comprends ?
- Oui, acquiesce Clark. Mais pourquoi est-ce que je suis différent ?
- Spécial, insiste Jonathan. Et je ne peux pas t'expliquer ça aujourd'hui. Tu comprendras quand tu seras plus grand.
- Mais je veux comprendre maintenant !
Son père secoue la tête.
- Quand tu seras plus grand, promet-il. Pour l'instant, ça doit rester un secret entre nous trois. Promets-moi que tu n'en parleras à personne.
- Je te le promets, jure Clark, même s'il ignore pourquoi. Croix de bois, croix de fer, si je mens, je vais en enfer !
Jonathan acquiesce et se redresse. Il jette un coup d'œil au moulin.
- À présent, tu peux me dire à quoi tu pensais, Clark ? Monter tout là-haut ! Tu te rends compte à quel point tu nous as fait peur, à ta mère et moi ?
Clark se sent coupable. Il sait qu'il a fait une bêtise, mais il essaie quand même de s'expliquer. Il espère que sa famille comprendra.
- Je voulais juste toucher le ciel, répond-il.

Man of Steel : La naissance d'un super-héros (Terminée)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant